Mixtape Janvier 2015


Premier mois de l'année, premières découvertes. Voici les morceaux qui m'ont fait plaisir en ce début d'année.

1. Suicide - Ghost Rider
Suicide (1977, Red Star)

On ouvre sur le très sombre et inquiétant Ghost Rider, incipit du premier album (éponyme) du groupe Suicide, sorti en 1977. Peu de variations et une atmosphère étouffante, un chanteur qui chuchote et semble à bout de souffle, des phrases courtes, et puis ces petits cris arrachés. On est sur un fil tendu, à la limite de la folie, et l'on attend un déchirement pendant tout le morceau, une libération qui pourtant ne vient pas. Avec un son qui rappelle certaines compositions des Doors (même époque), le duo new-yorkais composé de Martin Rev (synthés, boite à rythme) et Alan Vega établit alors une synthpop dense qui ne percera jamais vraiment auprès du grand public mais qui marquera durablement la scène underground de l'époque.

2. The Pains of Being Pure at Heart - Summer of Dreams
Days of Abandon [Deluxe Edition] (2014, Fierce Panda)

L'album Days of Abandon est le troisième opus du quintet new yorkais The Pains of Being Pure at Heart. En ajoutant au nom du groupe et de l'album que le morceau choisi s'appelle Summer of Dreams, on aura compris que l'on traite ici de dream pop : la recherche du bonheur dans les petits détails du quotidien tandis que la mélancolie frappe à la porte et entre par la fenêtre. Des basses et des percus soutenues mais tout de même un peu de chagrin qui roule tout au long du morceau. Parue en septembre sur la version "deluxe" de l'album, la chanson n'était pas présente sur la tracklist d'origine. Une chanson d'automne, en somme.

3. Mating Rituals - Toxins
Suck It, Nerds (2015)

Je n'avais jamais entendu parler de Mating Rituals, mais l'intro de leur single Toxins a retenu mon attention. Une cascade qui plonge en écho, un cri et un bis monté sur percussions. C'est facile d'être accrocheur, encore faut-il assurer le reste du morceau. Ryan Marshall Lawhon, ex-chanteur du défunt groupe Pacific Air, ne s'en sort pas trop mal en alternant faux rythme et reprise de son thème en version saturée. "Here we go again", annonce-t-il. Sorti en même temps qu'une une piste soignée du nom de Game, nul doute que ces deux morceaux constitueront une belle base de départ pour l'EP annoncé et intitulé Suck It, Nerds. Tout un programme.

4. London Grammar - Wasting My Young Years
If You Wait (2013, Metal & Dust)

London Grammar est le nom de scène d'un trio de Nottingham qui fut une des révélations de l'année 2013 avec leur superbe album If You Wait. Ici, malgré une orchestration qui déferle à l'infini, on ressent une angoisse immense dès les premières intonations de la voix d'Hannah Reid, toute en maîtrise et en puissance. Quand la vague se brise, la voix vient caresser la partition au piano en se posant dans un instant de grâce. Cette délicatesse apparente habille un dénuement complet des paroles qui ne s'encombrent pas de poésie, ou de double sens, nous laissant seuls avec ce questionnement déchirant : "Maybe I'm wasting my young years".

5. King Tuff - Sun Medallion
Was Dead (2008 The Colonel Records / 2013 Burger Records)

Pour un morceau sorti en 2008, Sun Medallion fleure bon les seventies. C'est une ballade pop bricolée où la guitare s'y reprend à deux fois pour s'accorder avant de démarrer. C'est une ode aux jours d'errance, où l'on croit se tirer en fumant un peu, en prenant sa caisse pour aller faire un tour. On tourne sur soi-même, le monde tourne, peut-être que l'on tourne en rond, mais on se laisse aller, et c'est là l'essentiel. C'est cela, King Tuff : un type bourré de talent nommé qui lâche des solos psychédéliques sans se poser de questions, avec le sourire aux lèvres. L'excellent label Sub Pop, pilier de la scène indé de Seattle depuis la fin des années 80, ne s'y est pas trompé et héberge depuis quelques années l'auteur d'un des très bons albums de 2014, Black Moon Spell.

6. Gibraltar - Satisfied
The New Century (2014, Factory Belt)

Voici le rock qui s'amène. Des phrases à quatre temps, une voix qui rappelle Brandon Flowers (The Killers) et un fredonnement très doux entre les couplets, comme pour tenter en vain de calmer ce qui va suivre. Le grattement des guitares s'intensifie, le ciel s'assombrit, la tourmente continue, quelque chose est définitivement brisé. Il est trop tard pour revenir en arrière et notre personnage essaie obstinément de retourner chez lui. Gibraltar est un quatuor aux origines variées (Ohio, Illinois, Washington et Kentucky) qui joue un power rock taillé pour les foules des stadiums. Pour l'instant, ils jouent encore dans les bars de la région de Seattle, mais j'espère sincèrement les voir traverser l'Atlantique dans un futur proche pour aller écouter Satisfied en live.

7. Chirping - Ambitions
Ambitions (2014)

Poursuivons avec du rythme et le single Ambitions du groupe suédois Chirping. Originaires de Stockholm, ils déroulent une formule éprouvée : de l'ardeur dans les cordes, des synthés colorés et un tempo soutenu à la batterie. Le résultat est une mélodie chaleureuse et pleine de peps, un trait commun à de nombreux groupes pop de la scène suédoise. La voix de baryton de Carl Vikberg a des accents de Julian Casablancas et sied parfaitement à ce morceau sur le passage à l'âge adulte. Un groupe à surveiller, surtout s'il s'avère capable de compositions de cette qualité sans céder trop souvent aux sirènes de la catchytude.

8. The War on Drugs - Baby Missiles
Slave Ambient (2011, Secretly Canadian)

Avec Lost in the Dream, le groupe américain The War on Drugs avait sorti dès le mois de mars le meilleur album de l'année 2014. Adam Granduciel livrait alors une oeuvre aboutie de la première à la dernière note, un voyage à travers les interrogations lancinantes de ceux qui arpentent la vie depuis longtemps et courent après la recherche de sens. Certaines pistes étaient cathartiques, d'autres mystérieuses, certaines avaient des accents de Springsteen. Trois ans auparavant, le groupe avait produit Slave Ambient, toujours pour le label Secretly Canadian, avec le même succès critique mais moins d'engouement côté public. L'album vaut amplement le détour, comme en témoigne la dixième piste de l'opus, Baby Missiles, une chevauchée à bride abattue sur les routes du nord-ouest américain.

9. Natalie Prass - My Baby Don't Understand Me
Natalie Prass (2015, Spacebomb)

Natalie Prass est une chanteuse de soul que l'on croirait envoyée du passé pour nous faire chialer de sa voix fragile et tendre. My Baby Don't Understand Me ouvre l'album et suspend le temps. "I don't feel much / Afraid I don't feel anything at all", entonne-t-elle, réveillant les cuivres un par un, puis les cordes, distribuant une ponctuation mélancolique et irrésistible, comme un lever de soleil sur un orchestre de jazz. De notre côté, impossible de ne rien ressentir, particulièrement à l'avènement du déchirant "Our love is a long goodbye", répété comme une certitude solitaire dans un océan de doute. L'album Natalie Prass est un de ces joyaux que l'on n'attendait pas, une lumière venue de Richmond en Virginie, où Prass a enregistré l'album avec l'aide d'un ami d'enfance et de l'orchestre de son label Spacebomb Records. A savourer.

10. Belle and Sebastian - Nobody's Empire
Girls in Peacetime Want to Dance (2015, Matador)

Faut-il présenter Belle and Sebastian ? Originaires de Glasgow, Stuart Murdoch et sa bande ont défini leur musique à la fin des années 1990 avant de traverser une période plus difficile dans la première moitié des années 2000. Groupe emblématique de la pop indé, ils ont sorti leur neuvième album en ce mois de janvier. Girls in Peacetime Want To Dance n'est certainement pas révolutionnaire, mais qu'est-ce qu'il fait du bien ! Le groupe embrasse pleinement sa mission et délivre des titres sucrés à la pelle. Sur Nobody's Empire, Murdoch embarque sa voix dans des envolées ambitieuses et l'on se régale de ce moment à 4'11 où il finit par tutoyer les cimes avec brio. Il n'en faudra pas plus pour clore cette mixtape sur une note enjouée.