Mixtape Mars 2015



Il va falloir m'excuser. D'abord, parce qu'ayant achevé cette liste je me rends compte qu'il y a un peu tromperie sur la marchandise. Plusieurs morceaux proposés ne sont pas vraiment représentatifs de l'album d'où ils sont extraits. Genre je choisis une chanson calme alors que l'album envoie, ou vice-versa. Ensuite, parce qu'ayant été plus studieux que d'habitude, je suis allé lire les paroles des chansons au lieu de me contenter de les écouter. C'est un peu me trahir : je crois fermement qu'une bonne chanson accroche l'oreille par sa musique et que les paroles sont une cerise sur le gâteau. On ne doit pas avoir à lire un texte pour aimer un morceau. Mais voilà, parmis les gusses ci-dessous, y en a deux ou trois qui sont pas maladroits de leur plume et ça vaudrait le coup de regarder ce qu'ils ont à dire.

1. Matthew E. White - Rock & Roll Is Cold
Fresh Blood (2015, Domino)

La sortie en ce début d'année des albums de Father John Misty, Tobias Jesso Jr. et Matthew E. White avec quelques semaines d'écart fait dire à beaucoup d'observateurs de la scène folk que le genre est en train de changer. Il se libère avec brio de son standard d'introspection solitaire défini par Bon Iver et les Fleet Foxes il y a quelques années, un cadre dans lequel tout album intime se doit d'avoir été écrit au fin fond d'une forêt avec pour seul instrument une guitare acoustique. Eh bien non : entrainant, riche, délicieusement jazzy, tel est le second album de Matthew E. White. Des morceaux comme Holy Moly ou Feeling Good Is Good Enough assemblent le piano, la batterie et les vents avant de faire appel à une section de cordes pour faire vibrer leur spleen. Pour notre plus grand plaisir White fait rimer hush avec lush et ça nous change des ballades confidentielles dont la complainte peut éteindre les feux de camp. Sur Rock & Roll Is Cold il s'amuse à contredire ses propres paroles dans un morceau léger et joueur habillé d'un groove très rythm qui tranche avec le côté plutôt blues du reste de l'album.

2. Courtney Barnett - Depreston
Sometimes I Sit and Think, and Sometimes I Just Sit (2015, Mom + Pop Music)

Courtney Barnett a l'écriture spirituelle, drôle et charmante qui donne instantanément envie d'être pote avec elle. Beaucoup de ses chansons vont commencer par une variante de "j'me trainais là un mercredi" et décrire la pelouse qu'elle aperçoit par la fenêtre, le tout et le rien, des anecdotes et des détails. Elle aurait pu le faire avec une guitare sèche et un sourire en coin, elle aurait pu faire des rimes hachées et devenir MC. Mais voilà, quand elle avait 10 ans son grand frère lui a fait écouter Nirvana, Jeff Buckley et PJ Harvey alors forcément elle sonne un peu comme eux. L'australienne de 28 ans n'a pas demandé a être connue, elle a juste mis un duo d'EP sur internet entre 2012 et 2013 et les gens sont devenus dingues de ce personnage pince-sans-rire. Sa chanson Avant Gardener a fini par tourner en boucle sur bon nombre de radios satellites. Elle y raconte comment elle a fait une réaction allergique en voulant s'extraire de son canap' pour faire un peu de jardinage. Elle finit par atterir aux urgences et lâche "I'd rather die than owe the hospital". Le titre de son nouvel album est de la même veine : "Sometimes I Sit and Think, and Sometimes I Just Sit". Chanson calme sur un album qui déménage, Depreston raconte comment elle se chope une déprime en allant visiter des maisons à vendre dans le quartier de Preston : l'agent immobilier a beau lui fait l'éloge d'une maison, elle ne voit que les souvenirs de la vieille dame décédée qui habitait là avant.

3. Slow Club - Complete Surrender
Complete Surrender (2014, Caroline International)

Complete Surrender est une merveille de construction musicale. En lieu et place de refrain, le hook présenté dès le début du morceau définit une structure à deux moments : le hook contre les couplets d'une part, la voix suave contre la voix vulnérable d'autre part. Slow Club met brillamment en scène un jeu de la séduction que l'on sait perdu d'avance pour Elle, qui confesse dès le début d'une voix fragile sa reddition totale aux charmes du prétendant. Les couplets détaillent l'échec des airs d'assurance, les artifices défaits, le maintien d'une voix paisible et grave qui cède face à l'urgence du désir. Dans le rôle de la joueuse, la ravissante Rebecca Taylor maîtrise à la perfection le passage d'un ton à l'autre tandis que Charles Watson mène la danse d'un tempo enlevé à la batterie. Originaires de Sheffield, le duo a sorti son troisième et meilleur album en juillet dernier, une merveille pop à écouter de la première à la dernière note.

4. Duel - Caramel
Gunnn Express (2015, Roy Music)

Je suis souvent le premier à critiquer les groupes pop français mais j'avoue avoir trouvé ici deux compères très habiles dont les airs et l'instrumentation n'ont rien à envier aux meilleures pépites de la scène indé US. Julien Boulfray et Brieuc Carnaille ont travaillé 8 ans sur leur premier album, intitulé Gunnn Express. On y trouve des compositions electropop sucrées souvent grandioses, parfois grandiloquentes mais jamais ennuyeuses. Les paroles sont empreintes d'une patte littéraire assumée, la poésie étant souvent un bon moyen de se faire remarquer sur la scène française - au risque d'écrire parfois des textes un peu cryptiques. S'il y a du cachet dans les textes, la voix laisse émerger quelques hésitations dans les tonalités basses qui dérangent après plusieurs écoutes. Ce n'est pas le cas sur Caramel, une virée estivale réjouissante et dansante jusqu'au bout des ongles. A faire fondre sous la langue pour savourer jusqu'à l'excès.

5. Sufjan Stevens - The Only Thing
Carrie & Lowell (2015, Asthmatic Kitty)

Carrie & Lowell n'est probablement pas le meilleur album pour aborder Sufjan Stevens. C'est un album sur la perte, la douleur, l'impossibilité du deuil. Stevens a perdu sa mère en 2012 et a failli ne pas s'en remettre. Pour sortir de l'épreuve il a composé seul, avec sa guitare et sa voix, sa voix qui sort du sanglot, reste murmure et tente de rejoindre le chant. Certaines chansons ont été enregistrées sur son téléphone dans des chambres d'hôtel ; la solitude, le dénuement résonnent tout au long des onze chansons de l'album. Sur No Shade in the Shadow of the Cross, il se voit lâcher prise au détour d'un vers et confesse un bouleversant "Fuck me I'm falling apart". Ce n'est pas un hommage, c'est un chemin de croix : ma mère est morte, je dois vivre avec son fantôme. Que me reste-t-il ? Qu'est-ce qui me retient de me foutre en l'air pour la rejoindre ? De me balancer dans un canyon en voiture ? Comment vivre lorsque toute expérience par les sens me ramène à la perte ? The Only Thing est un des points d'orgue de l'album : Stevens fait face à l'abîme et laisse libre cours à l'angoisse du deuil tandis que la chanson transforme les chemins de larmes en moments de grâce.

6. The Juan MacLean - I've Waited For So Long
In A Dream (2014, DFA)

Sur I've Waited For So Long, on sait dès les premières notes que l'on a affaire à un morceau intense. Il est porté par une ligne de basse compacte sur laquelle la boite à rythme et le synthé invoquent une ascendance disco sans ambiguité. Les percus sont un régal de violence sèche et le rythme dansant s'inscrit en contrepoint de la voix perçante de Nancy Whang. Difficile d'évoquer John MacLean sans parler de ses liens avec le défunt mais ô combien influent LCD Soundsystem et son meneur James Murphy. John MacLean et lui se sont rencontrés au sein du groupe post-hardcore Six Finger Satellite où Murphy travaillait comme ingénieur du son puis producteur au milieu des nineties. Lorsque MacLean laissa de côté l'électro pour passer ses diplômes et enseigner l'anglais au New Hampshire, ce fut Murphy qui l'incita à revenir à la musique et à s'essayer aux techniques de production moderne. Nancy Whang, claviériste pour LCD Soundsystem, prête sa voix aux compositions de The Juan MacLean depuis 2005.

7. The Young Evils - House of Lies
False Starts (2014)

C'est un peu Bonnie & Clyde qui attendent qu'on défonce la porte de leur dernier refuge et se blottissent dans une dernière danse, contre le reste du monde. La mélancolie du voyage qui touche à sa fin, l'abandon après la fugue et un dénouement doux mais abrupt, en un sens, parce qu'on attendait plus. The Young Evils est un quintet bourré de talent originaire de Seattle. Ils sont emmenés par Troy Nelson - host sur KEXP à ses heures - et son amie Mackenzie Mercer ; à l'origine, ces deux-là travaillaient dans le même magasin de disques. Ils ont enregistré leur premier album à deux avec un son proche de celui des Vaselines, ils étaient trois pour leur EP suivant, et les voici maintenant à cinq pour leur dernier EP. Entre eux, ils plaisantent que chaque session d'enregistrement pourrait déboucher sur un changement de nom tant ils sont capables de pencher d'un genre à l'autre. Sur False Starts, qui fait référence à un deal avorté avec la machine Universal Music, ils claironnent un rock alternatif dont l'enthousiasme laisse deviner leurs racines pop et la patte de Shane Stoneback, ami d'enfance et par ailleurs producteur de Vampire Weekend, Sleigh Bells et Cults. Quoi qu'il en soit l'ex duo a l'air de bien s'éclater sur ces 6 pistes gonflées ; House of Lies diffère d'ailleurs du reste de l'opus par sa tendresse mais permet de mettre en valeur l'admirable voix de Mackenzie Mercer.
  • Pour un aperçu de la façon dont les Young Evils peuvent retourner une salle de concert, jeter un oeil du côté de leur chanson Renegades.

8. Brandon Flowers - Can't Deny My Love
The Desired Effect (2015, Island)

On savait depuis août dernier que Brandon Flowers préparait son second album solo. Le premier single issu du nouvel opus du frontman des Killers s'appelle Can't Deny My Love et il présage du meilleur. Musicalement c'est une nouvelle incursion vers les eighties, avec un synthé en écho, des percus enveloppantes en cascade et un petit côté caribéen pour saupoudrer le tout. Le rapide crescendo a cappella est plutôt original et sert de piédestal à l'explosion du refrain qui rappelle que le monsieur reste derrière certaines des meilleures bombes rock du milieu des années 2000. Lors d'une récente performance au Webster Hall à New York, la chanson était placée en fin de set, avant le rappel, marque d'une grande confiance dans le potentiel de son morceau. J'attends toujours de l'entendre sur nos radios FM, lui qui affirme vouloir retrouver en solo les voies du succès mainstream. Enfin, si son Desired Effect a la qualité de n'importe quel album des Killers, il faudra se mettre à surveiller les dates de concert.

9. Tobias Jesso Jr. - Without You
Goon (2015, True Panther Sounds)

Le parcours de Tobias Jesso Jr. mérite un mot ou deux. Encore au lycée à Vancouver, son groupe, The Sessions, gagne un concours tremplin mondial appelé Emergenza, qui débouche l'opportunité d'enregistrer avec le producteur de Metallica. Ils se rendent compte bien tard qu'on les a fourrés dans une machine infernale et qu'on est en train de les transformer en produit standard pour ados orientés rock alternatif. Ils se barrent et se font enroller dans un faux backup band voué à tourner deux clips qu'un papa millionnaire finance pour que sa fille puisse se prendre pour Avril Lavigne. La fille retourne à l'école, fin de l'aventure et le voilà à L.A., subjugué par les paillettes tandis qu'il tourne en rond à essayer de composer des chansons pour des artistes pop. Puis il subit une rupture douloureuse d'avec sa copine d'alors. A vélo, il se fait percuter par une Cadillac prend la fuite, tandis qu'un connard en profite pour lui faucher sa bécane. Le jour d'après, il apprend que sa mère est atteinte d'un cancer. C'est trop. Il retourne à Vancouver. Il loge chez sa soeur. Elle a un vieux piano au fond de son grenier. Trois ans plus tard, Tobias Jessor Jr. nous livre Goon, un album délicat et tendre sur lequel il revient sur les affres et les échecs de son temps à Los Angeles. Derrière une pochette sombre comme le chagrin se dévoile un piano élégiaque qui rappelle les sommets d'Elton John ou de Randy Newman. Choisir une chanson en particulier fut un crève cœur, cet album sera un classique dans deux mois, je vous en prie, mettez la main dessus.

10. Animal Collective - Summertime Clothes
Merriweather Post Pavilion (2009, Domino)

Summertime Clothes part lancé plein gaz comme un zodiac qui ricoche sur l'azur. Les voix de Noah Lennox et Dave Portner serpentent à hauteur avant de jaillir en selle pour une escapade folle à travers la torpeur d'un soir d'été. L'agitation est contagieuse. On tourbillonne si ardemment que l'air chaud de la nuit devient une fraiche caresse sur la peau de ceux qui sont grisés dans un élan d'allégresse. Cette fièvre se retrouve dans la vitesse d'élocution du "When the sun goes down, we'll go out again" de mi-morceau, et par un joli clin d’œil la seule baisse de cadence intervient pour mieux mettre en valeur cette injonction : "don't cool off, I like your warmth". Summertime Clothes est le second single issu de l'album Merriweather Post Pavilion, incontestablement un sommet de la carrière du groupe expérimental Animal Collective. Il affirme une certaine fascination pour le mouvement qui se retrouve d'ailleurs sur la pochette de l'album. On était un 6 janvier 2009, l'attente entourant l'album était immense, frénétique, et Animal Collective parvint à répondre en livrant à l'aube de l'année une synthèse brillante de leurs explorations musicales.