
Ce fut un splendide mois d'avril. Le printemps est venu si vaillant que l'on a cru à l'été. Côté musique, ce fut également un délice, que je n'ai d'ailleurs toujours pas fini d'explorer comme je l'aurais voulu. En attendant, voici sept morceaux qui ont fait mon bonheur ce mois-ci. Enfilez votre casque, montez le son, et profitez.
1. Rone - Parade
Tohu Bohu (2012, InFiné)
Rone est l'alias d'Erwan Castex, une des valeurs sûres de la scène electronica française. Autodidacte, la musique est d'abord pour lui un passe-temps tandis qu'il poursuit des études de cinéma à La Sorbonne. En 2007, le label InFiné repère son morceau Bora sur Internet, ce qui donne lieu à un E.P. en 2008 puis à l'album Spanish Breakfast l'année suivante, qui lance sa carrière. Tohu Bohu, sons second album, déploie des morceaux mélodiques et planants qui sont l'aboutissement de trois ans pendant lesquels il aura passé la trentaine, fait de nombreuses rencontres et joué dans les meilleurs festivals électro. Il s'est également installé à Berlin, séduit par le calme des journées et l'effervescence des nuits de la capitale allemande. La ville lui a permis de trouver une sérénité qui se traduit par une grande spontanéité dans la composition de l'album ; à des airs célestes et rêveurs il mêle l'influence des labels anglais qu'il admire en ajoutant de touches du hip hop qu'il écoutait étant ado. L'album possède également des pistes énergiques invitant à la transe comme Fugu Kiss ou Parade, présentée ici. Son troisième album, Creatures, est paru en février dernier. Dévoilé en décembre aux TransMusicales de Rennes, il avait obligé les organisateurs de l'évènement à fermer les portes de la salle devant l'affluence.
2. Alabama Shakes - Don't Wanna Fight
Sound & Color (2015, Rough Trade)
Tout ce que vous devez entendre de la scène blues rock du sud des Etats-Unis se trouve réuni dans Sound & Color, le second album du quintet Alabama Shakes. Il y a la sueur des guitares qui se tordent sous le cagnard, la voix des chanteurs noirs qui font expirer leur peine, l'énergie sauvage que les Rolling Stones faisaient vibrer sur Brown Sugar en 1973. J'aime les Shakes depuis l'indépassable Always Alright, mais les premières mesures de Don't Wanna Fight sont un délice de rythme et de hargne. L'incroyable Brittany Howards, qui porte l'Alabama tatoutée sur son bras droit, nous rentre dedans avec violence lorsqu'elle entame la chanson en se brisant la voix. On retient notre souffle ; c'est un avertissement jeté dans l'air avant d'en venir aux mains. Les enjeux sont posés : "My life/Your life/Don't cross the damn lines". Alabama Shakes sera aux Eurockéennes de Belfort le 5 juillet, pour ce qui est hélas la seule date française d'un groupe qui dégage en live une présence dense et indéniablement électrique.
3. The Yearning - Chasing Shadows
Dreamboats & Lemonade (2014, Elefant)
Une voix soyeuse et douce, un air comme une berceuse. Trompettes, harpe et flutes nous entrainent dans un pays latin, par un soir d'été voluptueux. Nous sommes sur la piste d'un amour qui se dérobe au détour des rues. Chasing Shadows est un détournement de la chanson de variétés servie par une voix d'or et une mélodie rêveuse, digne de remplacer Françoise Hardy dans un film de Wes Anderson. The Yearning est un groupe de rétro pop fondé par le britannique Joe Moore, qui écrit et produit les morceaux chantés par Maddie Dobbie, agée de seulement seize ans. Leur son joue sur la nostalgie et le rêve, tout en utilisant la technique du wall of sound, mise au point par Phil Spector au début des sixties reprise notamment par Brian Wilson : l'enregistrement du son produit par des arrangements riches entre instruments de musique classique et instruments rock, passés ensuite dans une chambre d'écho.
4. Diagrams - Dirty Broken Bliss
Chromatics (2015, Full Time Hobby)
Voici une ballade à travers une terre mystique où l'on pénètre à la tombée du jour, remplie de créatures aux contours incertains. C'est l'enthousiasme et la légèreté qui guident nos pas, soutenus par un air entêtant, comme un parfum dans l'air que l'on cherche à suivre à tâtons au travers des ombres. La tranquilité est l'architecte qui assemble les différentes couches de ce morceau pop lumineux extrait du second album de l'anglais Sam Genders pour son projet Diagrams. Les chansons présentes sur Chromatics décrivent la complexité des relations amoureuses, faites de hauts et de bas, d'espoirs et d'hésitations et toujours hautes en couleur.
5. Lord Huron - The World Ender
Strange Trails (2015, Iamsound)
La musique de Lord Huron fait défiler les paysages et les légendes du Grand Ouest américain. Elle se nourrit du mystique et de l'immensité pour donner le rythme et la couleur des compositions qui habillent ses albums. Strange Trails, successeur du remarqué Lonesome Dreams, est une invitation à parcourir les chemins innombrables qui ont déjà servi de toile aux écrivains comme James Fenimore Cooper ou Jack London. Il y a quelque chose de libre et de sauvage dans la musique de cet album. Avec The World Ender on a l'impression de pénétrer dans une forêt dense et sombre pour assister à un rite, une initiation, presque une danse tribale. Le narrateur revient d'entre les morts pour commencer à arpenter la terre à la recherche de ceux qui lui ont tout pris.
6. Villagers - Dawning on Me (Crouch Angeles Version)
Darling Arithmetic (2015, Domino)
Cette version de Dawning on Me est exclusive à l'édition deluxe de Darling Arithmetic, l'album de Villagers sorti ce mois-ci. L'original est une ballade à la guitare accompagnée progressivement par quelques notes de piano. Ici, le piano est placé au coeur de la chanson dès les premières mesures, inquiètes, faites d'une indicible délicatesse qui rappelle les prélude de Chopin. Cette atmosphère sied à merveille à la voix de Conor O'Brien qui conte son incapacité à trouver le sommeil tant il est tourmenté par la pensée de l'être aimé. Après avoir commencé en solo et écrit sa première chanson par un lendemain de cuite, le natif de Dublin s'est entouré de plusieurs musiciens pour former Villagers. Il a depuis signé chez Domino en 2010. Darling Arithmetic est un voyage émouvant qui dévoile à chaque nouvelle écoute une force supplémentaire. O'Brien y joue chaque instrument et explore les sentiments ressentis, tantot pour décrire l'amour en général, tantot pour aborder des thèmes plus personnels comme la poids du regard des autres sur sa sexualité.
7. The Beta Band - Dry the Rain
The Three E.P.'s (1998, Regal)
Dans le film High Fidelity, John Cusack incarne Rob, un amoureux de musique qui tient un magasin de vinyles aidé de Dick, un loser introverti, et Barry (Jack Black) qui passe son temps à être odieux aussi bien avec ses collègues qu'avec les clients. Rob raconte directement au spectateur l'histoire de ses cinq pires ruptures, servi par une bande son absolument fantastique. Le film culmine sans doute lorsque, par un jour de bonne affluence, Rob se penche à l'oreille de Dick et murmure : "I will now sell five copies of The Three E.P.'s by The Beta Band". Il pose le disque sur la platine, le morceau emplit immédiatement les rayons, et des clients se mettent à demander qui joue. C'est un chanson à paliers, tranquille, sure de sa force, qui se déroule pendant 6 minutes sur sa ligne de basse. The Beta Band est un groupe écossais formé en 1996 et dissous en 2004. En 1998, ils ont sorti trois E.P.s, regroupés ensuite sur un album-compilation intitulé... The Three E.P.'s. Les trois vinyles sont aujourd'hui quasi-introuvables.