Mixtape Mai 2015


C'est une quête de tous les jours, une aventure, une errance curieuse dans laquelle on cherche le son qui nous appartient, celui dont on a été séparé à la naissance et qui nous revient de droit, parce qu'il nous fait entrer en résonnance. Cette vibration est une vibration de l'âme, c'est là qu'est la sincérité de l'amour que l'on porte à une chanson. Le goût ne ment pas. On peut ériger des barrières de préjugés contre certains genres ou certains artistes, exagérer, prétendre, mais la chanson qui atteint son but ne fera pas de détour sur la voie de l'émotion.

1. The New Pornographers - Spyder
Brill Bruisers (2014, Last Gang)

"They want you, they want you, they want you"... Les New Pornographers commencent à être un groupe vétérant de la scène indé canadienne. Leur dernier opus, Brill Bruisers, est assez inégal mais contient d'excellentes percées pop comme War on the East Coast, Marching Orders ou Dancehall Domine. Certains morceaux rappellent énormément Belle & Sebastian, d'autres font la part belle aux guitares plutôt qu'aux synthés scintillants. Au détour de plusieurs chansons on retrouve un harmonica un peu perdu, comme sur Spyder où sa première attaque semble prématurée. Cela étant dit, je ne refuse jamais une chanson en forme de feu d'artifice entamée par une voix chaude, c'est un de mes péchés mignons. Le morceau n'est pas nouveau, il s'agit en fait d'une création de Dan Bejar, un collaborateur régulier des New Pornographers. Associé à deux autres artistes canadiens pour former un supergroupe nommé Swan Lake, il a fait paraître deux albums en 2006 et 2009. Spider était présent sur le second opus, Enemy Mine. Avec une démarche assez rare pour être soulignée, il a donc retravaillé le morceau pour qu'il soit inclus sur Brill Bruisers six ans plus tard. Pour information, cet insatiable quarantenaire a aussi sorti ce mois-ci un excellent album avec son projet solo, Destroyer.

2. The Tallest Man on Earth - Sagres
Dark Bird is Home (2015, Dead Oceans)

Bob Dylan est très souvent le point de départ lorsque l'on évoque les envolées du suédois Kristian Matsson, connu sous son nom de scène "The Tallest Man on Earth". La faute à une voix nasale qui frappe au premier abord, et à une influence marquée du chantre de la folk américaine sur Matsson, qui lui-même reconnait qu'il ne saurait enregistrer sa voix sans sa guitare tant les deux sont liées. Originaire des vallées suédoises, ses mélodies folk rock ont récemment pris de l'ampleur et son projet solo requiert désormais plusieurs musiciens pour être restitué en live. Cela ne l'empêche pas de rester le centre de l'attention, non seulement grâce à sa voix mais aussi de par son charisme lorsqu'il se produit sur scène. Sur son dernier album, Dark Bird is Home, il développe des mélodies lumineuses et soignées, volontairement optimistes car l'écriture de l'album lui a servi de refuge dans ses périodes de vague à l'âme. Sagres en est le parfait exemple. Sur des accords volontaires il raconte la fin des rêves, le bout du voyage puis le recommencement, pour aller de l'avant et conjurer ces questions qui reviennent, incessantes : "Now what is left in here ? (...) / It's just all this fucking doubt".

3. Radical Dads - In the Water
Universal Coolers (2015, Old Flame Records)

Je n'ai pas la moindre idée de ce que raconte In the Water de Radical Dads, un groupe de Brooklyn dont les membres ont récemment annoncé un hiatus car ils s'apprêtaient à devenir... parents. Mais la mélodie accroche comme une tempête qui s'approche, comme un danger qui gagne du terrain, une urgence, un ciel qui s'assombrit. L'intro en trois temps y est pour beaucoup, de même que l'instrumentation saturée et dense qui produit une impression d'abandon, comme si le groupe avait une partition mais décidait de lâcher les chevaux pour éviter de se faire rattraper par les idées noires, de se noyer dans le jus sombre et visqueux de la dépression. Cette phrase qui vous percute et marque les assauts répétés de la noirceur, c'est : "and the negative creeps keep coming around", que Lindsay Baker claironne pour dynamiter un crescendo power-pop imparable. La chanson était disponible depuis octobre de l'année dernière, le groupe ayant fait paraître un E.P. en forme de cassette old school, intitulé Cassette Brain. Elle était tellement dingue qu'ils l'ont remise sur leur album sorti en février. Il faut abuser des bonnes choses.

4. Lower Dens - To Die in L.A.
Escape From Evil (2015, Ribbon Music)

Voici le morceau phare du nouvel album de Lower Dens, sorti plus tôt en ce début d'année et encensé par la critique. C'est simple, il s'agit d'une des meilleures chansons dream pop de l'année, à tel point qu'elle eclipse sur les ondes des webradios toute autre chanson de l'album. Le mouvement vers des sons rêveurs semble être la voie empruntée par un sacré paquet de groupes indés U.S. pour se renouveler, souvent d'ailleurs grâce à la patte des mêmes producteurs. Et quand ça fonctionne, c'est un régal. Le rythme est entêtant, distinctif, et la voix claire lance admirablement les brillantes montées du refrain : "Time will turn the tide". Là encore, il s'agit d'un coeur brisé, qui espère des lendemains meilleurs dans le maelstrom moderne que semble être la vie à Los Angeles.

5. LoneLady - Groove It Out
Hinterland (2015, Warp)

Si vous avez écouté 45 secondes de ce morceau et qu'il ne vous plaît pas, vous pouvez passer à la suite. Et je ne vous en voudrai absolument pas, car je ne sais toujours pas si je l'aime ou si je le déteste. Il s'est installé dans ma vie comme un chat qui entre un jour chez soi pour n'en plus repartir. On peut l'oublier pendant quelque temps et s'apercevoir un beau jour qu'il est toujours là, trainant dans un coin, perché sur une étagère, se prélassant dans un fauteuil. "Groove it out / Groove it out / Got to got to got to". Si vous l'avez dans la tête, ma mission est accomplie. Telle est l'essence de Groove It Out, une des nombreuses pistes explorées par Julie Campbell et livrée au monde au sortir d'une longue période d'introspection dans le studio qu'elle s'est construit elle-même du côté de Manchester. Difficile de décrire en une phrase la teneur de son album Hinterland, exploration d'un son électro pop personnel, qui parfois semble être destiné aux volutes des clubs undergrounds anglais et à d'autres moments prend des accents dansants bien plus lumineux.

6. Dan Deacon - Feel the Lightning
Gliss Riffer (2015, Domino)

L'intensité du reverb sur Gliss Riffer semble faire fondre la matière musicale dans un magma électrique et visqueux. Au ralenti, comme dans une stase étrange, transcription musicale d'un disque rayé qui repart encore et encore, le morceau se déploie tant bien que mal, poussé par les couches de synthés sifflants empilées les unes sur les autres. Si les paroles nous parviennent, c'est pour mieux retourner se confondre avec le reste des instruments. Le scénario se répète sur la plupart des chansons de l'album, qui ressemble au choix à une cacophonie heureuse passée dans une chambre d'écho ou bien à une course effrénée, la tête dans un bocal, à travers un festival de musiques du monde. Dan Deacon occupe à plein temps l'emploi de compositeur de musiques électroniques, du côté de Baltimore. Il est connu pour ses live shows durant lesquels il se produit au milieu de la foule pour mieux les inclure dans l'expérience sonore. Après avoir sorti une tripotée d'albums sur des petits labels depuis 2003, il a signé chez Domino en 2012 et leur a donné deux albums.

7. Kate Tempest - Lonely Daze
Everybody Down (2014, Big Dada)

Kate Tempest est la nouvelle princesse du spoken word outre-manche. Boucles dorées, pomettes roses et dodues, elle récite ses poèmes avec fougue et le sourire aux lèvres. L'écriture est incroyablement riche, les personnages sont peints non par leurs traits mais par leurs actions et leurs attitudes, avec une grande justesse. Il semble que son regard pénètre l'intime des gens qu'elle croise, des gens d'aujourd'hui racontés simplement, en quelques phrases. Lonely Daze pénètre la vie de tous les jours pour en extraire d'un même geste un état des lieux social (le chômage des jeunes qui, malgré leurs études, se retrouvent avec des jobs peu qualifiés) et un conte sur l'angoisse amoureuse, la peur de se livrer, de se déclarer. C'est cela qui donne aux gens cet état d'hébétude passive qu'elle appelle "lonely daze", dans lequel on trouve la vacuité du regard (gaze) où le désespoir gagne du terrain tandis qu'ils traversent, seuls, les jours (days) qui se succèdent. C'est un régal que cet album hip hop rafraichissant, offert par une artiste du langage qui est avant tout poétesse et metteur en scène.

8. The Vaccines - Give Me A Sign
English Graffiti (2015, Columbia)

Les Vaccines ont sorti un album en cette fin mai, donc je n'allais pas me priver. Leur premier single, Handsome, tourne depuis fin janvier sur les radios et c'est une de ces bombes rentre-dedans dont ils ont le secret, à la Norgaard ou Blow It Up, pour ceux qui ont déjà écouté leurs premiers albums. Sur English Graffiti, le nouvel opus, Justin Hayward-Young et ses compères ont voulu rechercher un son résolument plus pop afin, selon eux, de capturer l'humeur du moment dans le paysage musical. Ce qui les a fait déclarer en interview : "nous voulons que notre nouvel album soit complètement inécoutable dans dix ans", tant ils voulaient l'inscrire dans son temps. A l'arrivée, ça dépote pas mal et il est assez difficile de mettre une chanson au-dessus des autres. Give Me A Sign ressemble à l'album dans les variations entre les couplets posés et le refrain gravé à la bombe fluo dans l'air saturé.

9. Moby - The Perfect Life (feat. Wayne Coyne)
Innocents (2013, Mute)

Petite devinette : si vous allez sur la fiche Wikipédia (en) de Moby, quel est son seul "Associated Act" ? Ahem. Le D.J. et producteur natif de Harlem se fait plus discret ces dernières années, il tourne moins et l'effervescence qui l'entourait au début des années 2000 s'est estompée depuis longtemps. Pourtant, ses derniers albums en date ne manquent pas de chansons efficaces, à l'instar de Perfect Life qui a illuminé mon mois de mai bien au-delà de toute autre chanson. Ce n'est même pas compliqué, c'est du Moby tout craché, de l'électronica avec une voix de diva magnifique dans la veine de In This World. Mais ici, il a ajouté un choeur façon gospel qui scande les trois lignes du refrain et je suis persuadé que c'est cela qui passe dans l'ascenseur qui assure la liaison Terre-Paradis. C'est un de ces morceaux sur lesquels on entend le sourire de ceux qui chantent, une feel good song dont la puissance est démultipliée par chaque voix qui s'entremêle. Les couplets n'ont aucune importance, ce qui compte ce sont les bras au ciel et la joie de vivre. We close our eyes / The perfect life / Life is all we need.