Mixtape Août 2015


C'est la fin de l'été, donnez-nous l'été indien ! Septembre sera monstrueux en termes de sorties d'albums après que le mois d'août a tranquillement délivré quelques opus de bonne facture. J'ai pu profiter de la période estivale pour aller voir sur scène les artistes découverts lors de la première moitié de l'année. Kate Tempest et FFS m'ont fait forte impression. Cela dit, j'attends encore mon album de l'année. Espérons une fin d'année alléchante, un emballement à l'approche de décembre comme il y a un emballement dans les salles obscures à l'approche des oscars.

1. Wolf Alice - Soapy Water
My Love Is Cool (2015, Dirty Hit Records)

Après avoir vu Wolf Alice en live il y a 3 jours, l'air flottant de Soapy Water m'apparaîtrait presque comme une erreur dans la discographie de ce quatuor alt-rock originaire de Londres. Imaginez une belle chanteuse à l’air sage, aux cheveux blonds noués en queue de cheval, vêtue de noir, certes, mais aux grands yeux rêveurs. C'est Ellie Rowsell, et lorsqu'elle monte sur scène, je m'apprête à entendre du shoegaze. Mais voilà, Ellie est encadrée par un géant tout maigre aux cheveux courts péroxydés qui harangue le public à la moindre occasion, d’un autre type aux cheveux ras, style néo-nazi, dont on jurerait qu’il mordrait s’il n’était pas recroquevillé à torturer sa guitare, tandis que le troisième larron à la section rythmique a opté pour le look dark Jesus. Leur truc, c’est le rock à guitares qui tache, d’ailleurs Soapy Water ne fait pas partie de leur setlist. Dommage car ce morceau est empli d’une douceur à se perdre, bercé par la voix d'Ellie Rowsell dont le chuchotement délicieux est toutefois trompeur : il faut entendre dans ces échos discrets les affres de la mélancolie, de l’incertitude, la peur de se laisser envahir par la noirceur de ses propres pensées. Flottant dans le doute on essaie de se réveiller, de trouver à quoi se raccrocher ou à défaut, de quoi se distraire pour mieux cacher à ses proches qu'on a l'âme qui marche sur des sables mouvants.

2. Childbirth - Let's Be Bad
Women's Rights (2015, Suicide Squeeze)

Comme un grand vin, Childbirth raconte son histoire dès les premières notes de Let’s Be Bad. On y retrouve les saveurs de la scène contestataire de Seattle, ce parfum de révolte du Pacific Northwest qui nous a donné, entre autres, Hendrix et Nirvana. L’humour, aussi, porte cette chanson qui appelle à faire le mal, à se complaire dans la méchanceté, mais par les plus petites transgressions : être en retard au boulot, porter des jupes mal taillées... La chanson est brute de décoffrage façon Dead Kennedys, marrante mais simplissime, et c’est bien pour ça qu’elle reste en tête. Let’s be bad / It’s a lady’s right, le tout en assumant à fond, car Childbirth, c'est du lourd : Bree McKenna (Tacocat), Stacy Peck (Pony Time) et Julia Shapiro (Chastity Belt) ont roulé leur bosse dans divers groupes grrl, toujours actifs, mais nous gratifient en même temps d'un supergroupe de punk rock jouissif. Le dernier tube de ce trio incapable de se prendre au sérieux s'appelait I Only Fucked You As a Joke, et putain que c’était bon (refrain : I only fucked you as a joke! I hope I'm not pregnaaaaant!). Est-ce que Let’s Be Bad est une chanson est féministe ? Certainement. Est-ce que c’est son but ? Je vous laisse juges. L'album à venir s’appelle Women’s Rights, il est pour octobre, alors si vous aimez les nanas qui ont la tête haute et ont décidé de se lacher, préparez-vous à vous fendre la poire avec elles.

3. Grasscut - Curlews
In A Dream (2015, Ulrike + Folktale Records)

Des chants d’oiseaux qui bruissent dans l’air, un piano délicat style Prélude de Bach et une voix fluette qui s’étire dans les aigus. Curlews est un concentré d’apaisement qui se déploie comme le voile du soleil se déploie sur la nature par un matin paisible. Plus loin, les cordes viennent vibrer pour accompagner une envolée gracieuse, une invitation à la contemplation réjouie des petits miracles qui se déroulent dans le champ du regard. Grasscut est composé d'Andrew Phillips et Marcus O'Dair, un duo venu de Brighton qui trouve ses influences aussi bien dans la musique que dans la poésie anglaise contemporaine. Curlews aurait été inspirée par l'observation des courlis sur la côte anglaise. Leur premier album, paru en avril dernier, se nomme Everything Was A Bird et constitue une véritable célébration des paysages et des cieux d'outre-manche.

4. Birdy & Rhodes - Let It All Go
Let It All Go (2015, Rhodes Music)

Birdy est le pseudonyme de Jasmine van den Bogaerde, native du Hampshire, jeune fille précoce remarquée via le concours Open Mic UK qui lui permit en 2011 de placer une quelconque reprise de Bon Iver dans les charts anglais. Elle a aujourd'hui 19 ans et une très jolie voix, reste à savoir ce qu'elle va en faire. Rhodes est également un jeune anglais dont les démos lui ont permis de faire ses preuves en première partie d'artistes comme Laura Marling ou Rufus Wainwright il y a déjà deux ans. Après 4 EPs il est suffisamment rodé pour franchir le pas du premier album, qui sortira dans une quinzaine de jours sous le nom de Wishes, sur lequel figurera cette collaboration avec Birdy : Let It All Go. Sur une structure classique de morceau pop au piano, leurs voix s'entremêlent admirablement pour conter une relation qui bat de l'aile et semble déjà condamnée. A moins que...

5. Sparks - When Do I Get To Sing "My Way"
Gratuitous Sax & Senseless Violins (1994, Logic)

Sparks, ce sont deux frères venus de Los Angeles, Ron et Russel Mael, des petits malins qui ont commencé par faire de l'art pop bidonnant en 1971. Nous sommes en 2015, ils ont 22 albums à leur actif plus un autre, sorti en juin de cette année en collaboration avec Franz Ferdinand sous le patronyme FFS. Ils tournent depuis plus de 40 ans au bonheur ou au grand dam de la critique ; ils tournent depuis le début de l'été avec la bande à Alex Kapranos au ravissement de leurs fans et de festivaliers curieux qui seront vite conquis. Pour les avoir vus sur scène, je peux vous assurer qu'ils prennent un pied d'enfer. Entre deux chansons de FFS, à part égale avec quelques tubes de Franz Ferdinand, ils jouent leurs hits à eux, dont l'imparable When Do I Get To Sing "My Way" qui connut son petit succès en Europe à l'époque. Au milieu de l'explosion synth/house/techno des années 1990 qui a un temps masqué le mouvement grunge, Russel chante la complainte d'un type qui voulait chanter My Way pour vibrer comme Sinatra ou Sid Vicious, porté par l'élégance de la mélodie que Ron construit aux claviers. Après sept ans de silence Sparks proposait en 1994 un nouvel album riche, au titre ingénieux et à la pochette pastiche des Guns N' Roses tandis que le duo embrassait musicalement ce son synthpop dont les Pet Shop Boys se sont grandement inspirés (voir par exemple Love Is A Bourgeois Construct). Voilà peut-être pourquoi ces chansons-là n'ont pas pris une ride aujourd'hui.

6. Beach House - Space Song
Depression Cherry (2015, Sub Pop)

Il y a trois ans, j'avais été subjugué par Bloom, quatrième album de Beach House et leur premier chez Sub Pop. La pochette était hypnotique, à l'image de la voix de Victoria Legrand, intense, fiévreuse, toute-puissante. Depression Cherry me ramène avec délice sous l'emprise de cette dream pop enivrante et mystique : Beach House fait partie de ces groupes qui possèdent leur son propre, caractéristique. Space Song se démarque par une patiente éclosion faite d'arpèges étirés, dans un espace troublé seulement par des flashs discrets et de fuyants reflets colorés. Victoria Legrand et Alex Scally ont formé leur duo il y a plus d'une dizaine d'années maintenant. Leur intimité est leur alchimie, si difficile à décrire tant le processus créatif semble parfois échapper au langage. Pour leur cinquième album, indifférents à leur succès commercial croissant, ils ont choisi un retour à la simplicité, moins d'instruments pour éviter l'emphase acoustique qui accompagne les représentations sur des scènes plus vastes. Claviers, boites à rythmes, et cette voix de muse suffisent pour que l'on replonge avec eux.

7. Asaf Avidan - The Labyrinth Song
Gold Shadow (2014, Polydor / Universal)

Evening rises / Darkness threatens en quatre mots et un pincement de guitare vous voilà sous l'emprise d'un ensorcellement, jetés dans les ténèbres de ce labyrinthe... si seulement vous aviez accepté le fil d'Ariane. Qui est ce pauvre hère qui se perd dans les ténèbres, si loin de la seule présence qui compte pour lui ? Est-il désorienté parce qu'il a abandonné une part de lui-même pour rejoindre son aimée ? Oh Ariadne, I'm coming I just need to work this maze inside my heart. L'envoûtement ressere son étreinte. La caresse sur les cordes de la guitare offre un piédestal à la poésie d'Asaf Avidan qui nous livre un joyau de chanson d'amour, de celles qui épouseraient parfaitement les minutes tangéroises du dernier Jim Jarmush. Chaque mot est un soupir qui se disperse dans l'air glacé. Avidan est un artiste israélien passé du rock en groupe à une folk acoustique et intimiste pour sa carrière solo. Sa voix intrigue, crispe, divise, mais il en joue à merveille sur ce deuxième titre de Gold Shadow, où il délivre un ode sensible et fragile inspirée du mythe d'Ariane et Thésée.

8. The Lovin' Spoonful - Younger Generation
Everything Playing (1963, Kama Sutra)

Il y a ce documentaire sur Woodstock, que j'avais déjà vu. Il est monté comme un collage. L'écran est divisé en deux, trois, avec des bandes noires autour. On voit plusieurs angles du festival à la fois. J'ai toujours eu l'impression de regarder des diapos. Il y a ce documentaire sur Woodstock, il passe sur Arte. Je suis en train de jouer au tarot, dans un bungalow, avec des amis, parce qu'on s'est démotivés pour aller à la plage. Je prête plus d'attention à la toute petite télé qu'au jeu, cet écran en plastique de 20 pouces qui doit sortir de chez Leclerc. Je m'en fiche, je n'ai pas de jeu et je n'ai pas été appelé. Moi, j'attends le solo de batterie de Michael Shrieve pendant le Soul Sacrifice de Santana. Et puis le docu montre ce type avec des favoris et des lunettes rondes, qui monte sur scène face à l'océan de la foule, et leur chante une balade hippie. Il est clairement défoncé, mais les mots sont les bons, le ton est celui qu'il faut, le rythme est juste. Il chante qu'on a a toujours l'impression que ses parents sont coincés. Il dit les angoisses de fonder une famille, de voir son gosse grandir. Il parle de compréhension entre les générations. Il dit : "And then I know that all I've learned, my kid assumes. And all my deepest worries must be his cartoons". Ce vers m'a laissé sans défense et m'a permis plus tard de retrouver la chanson. C'est un single du groupe The Lovin' Spoonful, mais le type, là, sur scène, c'est le chanteur tout seul, John Sebastian, et la seule vraie version de cette chanson, c'est celle qu'il donne à Woodstock ce 16 août 1969, alors qu'il n'est même pas à l'affiche du festival : les organisateurs l'ont trouvé dans la foule et invité à se produire parce que tout un paquet d'artistes étaient complètement à la bourre.