Mixtape Juin 2016



Avec un peu de recul, je profite de cette introduction pour faire un court retour sur le festival We Love Green 2016 qui s'est tenu début juin, dans un très beau site du côté du bois de Vincennes. Côté artistes, ce sont surtout les têtes d'affiche qui ont tenu leur rang, avec entre autres un concert de LCD Soundsystem absolument impérial. Côté organisation, zéro pointé sur toute la ligne, entre amateurisme et dangereuse négligence. La liste des griefs est longue : mise en place ratée d'un système "cashless" (et le cashless ça existe déjà, ça s'appelle la carte bleue), incapacité à anticiper les conditions météo qui entraine un retard dans la mise en place des scènes et donc des annulations d'artistes, interdiction d'accès aux enfants annoncée la veille et pagaille concernant les remboursements, communication quasi-inexistante auprès du public, et pour couronner le tout une sortie de festival absolument chaotique le samedi soir, où la foule a été traitée comme du bétail sans aucune présence de l'organisation. En clair, une absence totale de professionnalisme. We Love Green ferait bien de s'inspirer de ses grands frères parisiens que sont Solidays et Rock en Seine qui, malgré leur taille, parviennent chaque année à mettre en place une organisation vraiment rodée.

Pour ceux qui utilisent Spotify...


1. Sia - Cheap Thrills
This Is Acting (2016, Inertia)

Cheap Thrills est un morceau-étendard de la pop contemporaine, un élixir de jouvence bondissant qui ne mise pas pour la énième fois sur un tsunami de synthés. A la place, une cadence pseudo-reggae et la voix de Sia Furler qui jongle entre des registres proches, sans fard mais pas sans effets. Ses notes basses dans les couplets flirtent tantôt avec le "vocal fry", tantôt résonnent sur les fins de phrases pour mieux ancrer Cheap Thrills sur son beat palpitant. Dans ses refrains platine, Sia retient son timbre clair à coups de vibratos, laissant une bande de gosses crever en chœur les aigus. Furler a tant roulé sa bosse qu'il est impossible de dénombrer les "phases" de sa carrière. Depuis ses débuts dans un groupe d'acid jazz au milieu des années 1990, l'australienne s'est installée à Londres et a été choriste pour Jamiroquai, chanteuse pour le groupe downtempo Zero7 et a fait des incursions dans les charts avec tant de singles qu'elle a été labellisée "meilleure artiste émergente" à de nombreuses reprises. Au tournant des années 2010 elle confirme son installation définitive dans les charts autraliens avec l'album We Are Born mais décide de se concentrer sur l'écriture pour les ténors de la pop mondiale. Titanium lui procure un succès qu'elle ne recherchait pas, contrairement à Chandelier, qui prend d'assaut toutes les radios en 2014. Elle continue à écrire avant tout pour les autres, à tel point que This Is Acting se compose en majorité de chansons rejetées par d'autres, comme Adele, Rihanna ou Beyoncé.

2. Rhye - 3 Days
Woman (2013, Innovative Leisure)

Quelques notes de piano rêveuses pour signifier que l'on se situe en-dehors du temps et ce soupir divin de Mike Milosh, ce "Ooooh, I'm famished" qui ouvre 3 Days et contient assez d'appétit pour durer trois jours de passion. À l'image de la couverture de l'album, 3 Days est une ode au parcours du corps, dans le refuge des draps d'un week-end hors du temps. On y trouve peu de mots et beaucoup de poésie, une évocation fluide qui se fond avec la composition paisible du morceau, en contraste avec le désir charnel qui habite le premier couplet. Les très discrets Mike Milosh et Robin Hannibal se sont rencontrés en 2011 à Copenhague. Il en a résulté une étincelle créative et l'écriture d'une dizaine de chansons sur l’agonie des relations longue distance avant qu'ils ne décident de déménager à Los Angeles pour tenter de retrouver leurs amours respectives. C'est donc à L.A. qu'ils enregistrent Woman, à deux dans la chambre d’Hannibal où il soumettent leurs logiciels de programmation pour refléter la sensibilité de leurs compositions et de leurs paroles. Sur cet album où le sexe est abordé avec une approche sincère, admirative voire quasi-religieuse on trouve par touches des bois, des cuivres et des cordes disséminées sur des pistes électroniques limpides, mais surtout la superbe voix intimiste de Mike Milosh.

3. The Velvet Undeground - Sweet Jane
Loaded (1970, Cotillon)

Le Velvet Underground reste encore synonyme d’album à la banane et d’Andy Warhol dans l’imaginaire collectif, une image très pop pour un groupe qui a exploré les expérimentations borderline de la contre-culture new-yorkaise de la fin des sixties, entre tournage de films pornos noirs expérimentaux et happening-vengeance à la New York Society for Clinical Psychiatry. Cette obsession pour l’album The Velvet Underground & Nico éclipse trop souvent les pépites que renferme un album comme Loaded, paru en novembre 1970 en plein délitement du groupe. Ecouter Sweet Jane revient à se poser dans un coin avec le volubile Lou Reed dans son costume de conteur, lui qui sait si bien dessiner des personnages en quelques vers – voir Walk on the Wild Side. Tel Bob Dylan, il s’embarque dans une conversation parlée dans les couplets, avec les mêmes accords de guitare et le même rythme de batterie pendant quatre minutes. Au final on se retrouve à hurler comme des loups ce Sweet Jane du refrain, ne sachant plus très bien s’il est question de ce couple qui s’est rencontré à la banque, ou de ce qu’ils mettent dans leur joints en rentrant du boulot, le tableau étant pour le moins enfumé.

4. Scissor Sisters - Take Your Mama
Scissor Sisters (2004, Polydor)

Dans sa critique élogieuse - au passage une merveille d'article - du premier album des Scissor Sisters, Tim Jonze du NME écrivait que le groupe sonnait comme "une orgie musicale incluant Elton John, les Bee Gees, et un stock illimité de poppers". On était en 2004, à l'époque du garage rock-roi, l'heure de gloire des Strokes et d'Interpol. La bande à Babydaddy et Ana Matronic débarquait avec un style boogie-groove-rock arc-en-ciel absolument dingo, fabuleux et jubilatoire. Parmi les premiers à les avoir repéré, NME s'échignait à déterminer quel était le vrai single de leur album éponyme parmi pléthore de tubes potentiels (Comfortably Numb, Laura, Filthy/Gorgeous...). Take Your Mama est la définition musicale du mot "irrésistible" avec son attaque à la guitare acoustique, sa slap bass diabolique et ses solos de guitare chaloupés. Au sommet du refrain, cet éclatant "Do it!" en falsetto impérieux sur claviers martelés intime aux homos anxieux de faire leur coming out en fanfare : en trainant leur mère dans les clubs gays les plus fous de New York et en l'abreuvant de champagne. We're gonna take your mama out all night / Yeah we'll show her what it's all about / We'll get her jacked up on some cheap champagne / We'll let the good times all roll out.

5. Kyle Craft - Future Midcity Massacre
Dolls of Highland (2016, Sub Pop)

Kyle Craft est un troubadour flamboyant qui compose pour Dolls of Highland une myriade de portraits des créatures de la nuit, des hommages aux femmes errantes, aux amours torturées, aux nuits ivres de regrets. Il y a cette Lady of the Ark, « femme prodigue », il y a Berlin et sa barre verticale, Jane qui chasse la Mort à coups de balai, Black Mary et d’autres encore, toute une galerie de femmes fatales ou brisées qui tournoient en cadence sur une folk de cirque baroque. Le décor, ce sont les nuits de Louisiane, la mystique chrétienne, la chaleur du Sud, le paradis perdu de la Nouvelle Orléans. Kyle Craft y fait du glam rock de carnaval, hantant les nuits de Shreveport, Louisiane, en plantant ses anecdotes dans des souvenirs de danseuses burlesque, de bordels crades, de lumières de fête foraine et de créatures gothiques. Il se place comme un de ces aboyeurs de fête foraines qui haranguent le badaud et l’invitent à l’intérieur du cirque. Sur chaque morceau il est prêt à une nouvelle passe, avec sa voix rustique étalée sur un tempo de fête, son piano de saloon, ses percussions sauvages et une alliance de guitares acoustiques et électriques à faire trembler le bayou. L’album entier est un tour grisant sur un manège plus étincelant que nature, quelque part dans le Sud des Etat-Unis, où l’espace d’une nuit donne cent heures de souvenirs enfiévrés.

6. Naive New Beaters - Heal Tomorrow (feat. Izia)
A La Folie (2016, Capitol)

Les Naive New Beaters sont avant tout des bêtes de scène. Leur numéro bien rodé allie humour décalé, chorégraphies participatives et jeu avec le public, le tout sur des morceaux pimpants de paillettes et de pop. Leur dernier passage aux Solidays l’a montré : malgré un style qui change peu, le public se régale à coup sûr entre duels de guitares, percus déchainées et synthés colorés. La dernière cuvée des Naïve New Beaters ne déroge pas à la règle : dopé par des synthés verticaux qui rappellent Starlight des Supermen Lovers, Heal Tomorrow profite de l’énergie d’Izia pour casser la baraque tandis que tout le monde saute dans tous les sens, groupe et public semblables. Originaires de Paris, ceux qui se font appeler David Boring, Eurobelix et Martin Luther B.B. King sortiront en juillet A La Folie, leur troisième depuis leur formation à la sortie du lycée. Leur son déjanté mais précis, bataille de rock, de rap et d’électro house semble peiner à acquérir la place qu’il mérite dans les charts français et européens mais s’ils passent de par chez vous, n’hésitez pas une seule seconde à réserver vos billets !

7. Amason - I Want to Know What Love Is
California Airport Love EP (2016, INGRID)

Amason est un groupe originaire de Stockholm, constitué de membres de Miike Snow, Dungen, Idiot Wind et Little Majorette qui chante en anglais comme dans leur langue d’origine. Ils se sont distingués en 2014 avec, entre autres, leur chanson Went To War et produisent régulièrement des EP. Cette année ils font paraître California Airport Love, qui contient une reprise de I Want to Know What Love Is. À l’origine, il s’agit d’une ballade guimauve typique des eighties chantée par le groupe Foreigner, du style November Rain des Guns, sans les Guns. La version des suédois d’Amason est un vrai tour de force, fascinant par la modernité et l’émotion retrouvée de leur reprise. La voix chaude d’Amanda Bergman (Idiot Wind) porte superbement ce morceau électro pop teinté de folk où l’instrumentation légère et aérienne transporte l’auditeur à la découverte de grands espaces, se déployant sans limites dans l’air glacé. On signalera par ailleurs que les autres morceaux de l’EP sont d’une grande qualité et ne demandent qu'à être découverts.

8. Primal Scream - Loaded
Screamadelica (1991, Creation Records)

The Wild Angels est un film de 1966 dans lequel des Hell’s Angels de Californie interrompent leurs raids tumultueux pour partir à la recherche de la Harley d’un de leurs gars, qui finit par se faire abattre. Le service funéraire mené par le prêtre est interrompu par Peter Fonda, qui rejette ce qu’il considère comme un ramassis de salades (« The Lord giveth and the Lord taketh away »). Le prêtre reprend la parole, et a le malheur de lui demander "Just what is it that you want to do ?", ce qui donne lieu à l'échange qui ouvre Loaded. Paru en 1990, ce single de Primal Scream préfigure l’album Screamadelica qui sortira presque deux ans plus tard et sera le premier vrai succès du groupe. Bobby Gillepsie a fondé Primal Scream à Glasgow au début des années 1980 avec son pote Jim Beattie, d’abord pour jouer des reprises des Byrds ou du Velvet avant d’écrire leurs propres compositions. Batteur à mi-temps pour le Jesus and Mary Chain, il les quitte après avoir élargi sa bande avec notamment Robert Young (guitare) et Martin Duffy (claviers). En 1988, un ami d’enfance de Gillepsie, Alan McGee, initie le groupe à l’acid house et leur présentera plus tard le DJ montant Andrew Weatherall à une rave party. Gillepsie lui demande de remixer le morceau I'm Losing More Than I'll Ever Have paru sur leur second album éponyme. Après déconstruction, rajout de divers samples, ça ressemble plutôt aux Blues Brothers défoncés qui feraient l’amour à Sympathy for the Devil. Loaded est d’abord lancé par une salve de cuivres triomphants et des chœurs haletants. Le thème total est annoncé puis éteint par la trompette, et il va se reconstruire en variations tout au long de la chanson. Ce jam absolument irrésistible part de percussions claires qu’une ligne de basse fantastique vient enlacer, rejoints bientôt par le thème du piano et la guitare légère, puis un sax endiablé, le tout saupoudré de maracas. À mi-morceau, le sample de Peter Fonda revient et le personnage semble déjà planer très haut lorsqu’il est absolument foudroyé par quatre instants électriques, plus jouissifs que les déflagrations de Jonny Greenwood sur le Creep de Radiohead. C’est un morceau culte à la frontière du rock indé des années 1980 et de la culture rave des années 1990, qui sera repris dans tous les clubs d’Angleterre et remixé au-delà de la raison bien avant que l’album ne voie le jour.