Mixtape Mai 2016




1. Mazzy Star - Halah
She Hangs Brightly (1990, Rough Trade)

Bien que Mazzy Star soit un groupe complet, leur cœur gravite autour du guitariste David Roback et de la chanteuse Hope Sandoval. Leur histoire remonte aux années 1980. Roback évoluait au sein du mouvement du Paisley Underground californien, expression de l'émergence à Los Angeles d'une musique rock alternative aux forts accents psychédéliques. Successivement à la tête des groupes Rain Parade et Opal, il découvre Sandoval au travers d'une cassette qu'elle a enregistré pour son duo folk, Going Home. Sandoval a grandi dans un coin turbulent de l'est de L.A.. Cadette de 10 frères et sœurs dont l'un d'entre eux trempe dans les gangs locaux, elle a formé Going Home avec son amie Sylvia Gomez et s'adresse à Roback pour produire leur premier album. Celui-ci accepte, trouvant la voix de Sandoval "vraiment intense et complètement unique". Sandoval remplacera ensuite Kendra Smith au sein d'Opal, avant que le groupe ne se dissolve au profit de Mazzy Star. Leur premier album fut She Hangs Brightly, paru en 1990. Mazzy Star est un groupe qui fait de la musique pour lui-même avec le sentiment que si les gens viennent les voir, c'est qu'ils sont le dernier phénomène en vogue. Détestant l'attention, Hope Sandoval est mal à l'aise en live, décline systématiquement les interviews et les débats sur ses paroles. Manque de pot, en 1994 leur chanson Fade Into You devint un hit, sans même être foncièrement différente du son de leur premier album, dont ils n'ont jamais vraiment dévié. La première chanson de She Hangs Brightly, Halah, présente bien cette désarmante douceur de la voix de Sandoval accompagnant une ballade folk rêveuse et légère.

2. Mavis John - Use My Body
Use My Body / How Can I Love You Again (1981, Kalinda)

Dans la chaleur épaisse des soirées enivrantes, quand les sens surpassent le corps, voyagent dans l'air tropical, quelques mots, une voix, saturés de désir, dessinent la profondeur d'un regard pénétrant. We don't have to get down / Just to get it on / You know how to use / My body. L'accent torride d'une langueur juvénile, la cadence patiente d'une caresse érotique, sur le silence du temps qui s'arrête, l'offre irrésistible de la séduction. Originaire de La Barbade, au cœur des Caraïbes, Mavis John a eu une vie bien remplie. Après avoir débarqué dans la musique à seize ans, elle est devenue institutrice avant de faire un retour plus discret en lisant des poèmes sur des scènes de théâtre. Sur Use My Body sa voix juvénile ne s’embarrasse pas de détours pour faire passer son "message" ; la simplicité de l'a capella laisse place à des moments brûlants où le funk tropical se mêle à la soul pour attiser les premiers enlacements.

3. The Strokes - Oblivius
Future Present Past EP (2016, Cult Records)

Les Strokes sont de retour le temps de trois chansons sur un nouvel EP intitulé Future Present Past. C'est Julian Casablancas qui s'est chargé de dévoiler le tout dans sa nouvelle émission "Culture Void" sur la chaîne SiriusXMU. Oblivius est probablement le titre le plus marquant par sa puissance et sa richesse : mené par les riffs électriques de Nick Valensi et la clarté de Fab Moretti à la batterie, ses couplets rappellent le son de leurs débuts tandis que le refrain explosif tient plus clairement des Voidz. On a le droit à des variations de Julian Casablancas sur plusieurs registres et le plaisir d'entendre un nouveau riff de Valensi en sortie de refrain. Coup de chapeau également à la production : on ressent chaque instrument, la densité des guitares, les mouvements de la basse, le tout avec la qualité de superposition du tout qui est un peu la marque de fabrique des Strokes. Pour la suite de l'agenda, on ne sait pas encore. Un clip a été dévoilé pour Drag Queen, le groupe est tête d'affiche du Governors Ball Music Festival (dont le line-up est à tomber par terre) mais à part cela, pas grand chose à se mettre sous la dent.

4. Afrosound - Tiro Al Blanco
Tiro Al Blanco (1979, Discos Fuentes)

Afrosound est la réplique colombienne à l'invasion du style chicha qui conquit le Pérou et la Bolivie au milieu des années 1970. José Maria Fuentes, à la tête du label Discos Fuentes (le "Motown" de Medellin), décide de rassembler ses meilleurs musiciens dans un "supergroupe", Afrosound, et de renouveler la cumbia en mêlant aux guitares andines et aux percussions traditionnelles des éléments de salsa, de funk et de disco. Tiro Al Blanco est une fantastique rencontre entre la vague disco européenne de l'été 1979 et cette ouverture de la cumbia colombienne à d'autres styles musicaux. Tout commence en Italie, où le producteur Pino Massara compose le hit Margherita (Love In The Sun), un titre entièrement électronique auquel Tiro Al Blanco emprunte son motif d'introduction. Ce thème est samplé tout au long du morceau, étiré et revisité par les instruments traditionnels dont les percussions caractéristiques de la cumbia. Irrésistiblement dansant et sensuel, ce morceau fut un grand succès en Colombie comme au Pérou au début des années 1980. Il a également été repris par Manu Chao dans sa chanson Malegria.

5. Peter, Bjorn and John - Breakin' Point
Breakin' Point (2016, INGRID)

C'est un sifflotement qui les a rendu célèbres en 2006 avec la chanson Young Folks, qui fait désormais partie des tartes à la crème des bandes son du marketing audiovisuel. C'est un sifflotement qu'ils placent en introduction de la chanson-titre de leur nouvel album, sur un air guilleret aux notes cristallines et des cris d'enfants qui semblent empruntés à l'intro de Kids (MGMT). Peter, Bjorn and John s'étaient faits discrets depuis leur dernier opus Gimme Some, en 2011. Ils sont de retour pour la période estivale avec Breakin' Point, à paraître le 10 juin sur leur propre label, INGRID. Le trio de Stockholm s'est associé à des pointures à la production de l'album, travaillant avec Paul Epworth (Paul McCartney, Florence + the Machine) ou Greg Kurstin (Adele, Beck). Dans les premiers morceaux dévoilés on retrouve la patte pop colorée des suédois qui déroulent une formule guitare-percus-synthé diablement entrainante qui culmine dans un refrain vibrant.

6. SoKo - I've Been Alone Too Long
I Thought I Was An Alien (2012, Because Music)

Son accent français colore sa fragile voix. Ses albums sont des champs prodigues de mélancolie. Actrice et chanteuse, Stéphanie Sokolinski a bien plus à offrir que le "hit" de ses débuts, I'll Kill Her, une ode à la vengeance féminine trop souvent préféré à d'autres titres plus matures comme I've Been Alone Too Long. Seules quelques notes habillent le tremblement de sa voix, ce murmure qui reste dans la gorge alors qu'elle évoque la perte d'un proche et la solitude des soirées de peine. Lorsqu'elle chante, SoKo parvient à ignorer la barrière de l'intime pour attirer au plus près de sa voix, là, tout proche de ces quelques notes, et partager sans voile sa vulnérabilité. On mentirait en disant que ses albums sont réjouissants. Il faudrait peut-être même adresser une mise en garde aux natures les plus mélancoliques. Son premier album I Though I Was An Alien comporte seize chansons dont la plupart, comme Destruction of the Disgusting Ugly Hate ou We Might Be Dead By Tomorrow, explorent la relation amoureuse, les moments de doutes et les pensées noires.

7. Car Seat Headrest - Vincent
Teens of Denial (2016, Matador)

Vincent est un putain de morceau de malade. C'est une force brute qui rend ses lettres de noblesse au trio guitare-basse-batterie, avec des riffs grattés qui se suspendent comme un ciel d'orage, avec des drum breaks qui roulent comme des glissements de terrain, avec cette basse à ressorts des premières mesures qui revient plus tard en groove façon The Doors lancés à pleine balle. Il faut les voir, ces trois garçons qui semblent encore des ados, avec leur fougue et leur hargne et leur tension, concentrés sur leurs instruments comme pour ne pas faire une embardée qui les enverrait à la mort. Ça cogne, c'est un brasier qui monte encore et encore. C'est l'expression authentique de l'agitation fébrile, c'est incroyablement vivant, immédiat, les pieds dans le présent, c'est le rock des petits groupes qui galèrent dans des petits bars et ça monte encore alors... Après sept minutes, le morceau éclate quand Will Toledo et Ethan Hives se renvoient les paroles dans un échange brillant sur le malaise des jours d'errance et des soirées sans fin : I don’t have the strength (I don’t have the time) / I poured myself a drink (I told myself a lie) / You know I’ve worried (You know I’ve tried) / Don’t you know I’m not strong? (Don’t you know I’m not kind?) / Someone’s getting lucky (Someone’s calling the cops) / Someone takes me away (Someone makes it all stop) / I had a bright tomorrow (I spent it all today) / Now I am silent at last / Now I have nothing to say. Parce qu'en plus d'être complètement frais dans l'instrumentation, Teens of Denial est un chef d’œuvre d'écriture que le grand public ne connaîtra jamais. Will Toledo, le chanteur et compositeur, n'a que 24 ans mais il développe des idées, des thèmes, des chemins narratifs d'une immense richesse. Il enregistre comme il respire et a publié 11 albums sur Bandcamp pendant sa période universitaire. Après Teens of Style, un album rétrospectif, il a livré ici son premier album studio et c'est un feu d'artifice à mettre entre toutes les mains.