Mixtape Février 2015



J'attendais ce mois-ci beaucoup d'albums, ceux de Father John Misty, José Gonzalez, The Districts, Two Gallants... Au final je n'y ai pas trouvé de pépites mais composer une mixtape s'est révélé plutôt facile car la radio et les blogs ont été prodigues. Une bonne moitié de noms de la liste sont connus, peut-être pas leurs chansons. Je vous souhaite du plaisir.

1. Sugar Stems - We Only Come Out At Night
Only Come Out At Night (2014, Dirtnap Records)

"Go ahead and cry your eyes out if you think it'll make people treat you better", tance Betsy Heibler, lancée sur un rythme soutenu dans une mélodie efficace. Pas de place pour les pleureuses, ici on se serre les coudes et on te remet les idées en place quand tu files pas droit. Derrière Betsy, quatre autre vétérans de la scène rock de Milwaukee orchestrent le rutilant We Only Come Out at Night, également le nom de l'album sorti par Sugar Stems à l'été 2014. C'est accrocheur, la batterie ne dévie pas d'un iota durant tout le morceau et il y a même de la place pour de courts solos à la guitare. L'album est un honnête concentré de power-pop qui montre parfois ses limites mais ne tombe jamais dans la facilité.

2. The Cranberries - Dreams
Everybody Else Is Doing It, So Why Can't We? (1992, Island)

En 1990 à Limerick, les frères Noel et Mike Hogan cherchent une chanteuse pour leur groupe The Cranberries Saw Us. Ils répètent depuis moins d'un an avec le batteur Fergal Lawler et leur chanteur les a lachés. Après avoir écrit sur leur démos, Dolores O'Riordan revient vers eux avec une version rugueuse de Linger. S'ensuivent des débuts compliqués, jusqu'à la sortie du single Dreams qui annonce leur premier album Everybody Else Is Doing It, So Why Can't We? paru fin 1992. L'ouverture du morceau est une signature, l'attaque du tandem guitare-batterie s'effaçant pour laisser place à une ligne de basse qui va supporter l'ensemble du morceau. O'Riordan, aérienne, entame le premier couplet en laissant librement osciller son timbre gracieux mais troublant, porteur à la fois d'espoir et de douleur. Ce premier album des Cranberries s'est vendu à plus de 6 millions d'exemplaires à travers le monde. Je n'avais jamais entendu Dreams jusquà ce mois-ci.

3. Phoenix - Honeymoon
United (2000, Source / Virgin)

J'ai repéré Honeymoon alors que je tentais de construire une playlist autour de la sensation délicieuse de ce bien-être paresseux. Celui du dimanche matin. Celui du fauteuil confortable et de la baie vitrée ensoleillée. Honeymoon tombait parfaitement dans le thème. Laissant de côté son timbre traditionnellement plus aigu, Thomas Mars chante ici langoureusement d'une voix posée et chaude qui incarne pleinement cet esprit de carpe diem. J'aime les quelques notes de synthé façon orgue au début, la cymbale qui éclate doucement comme l'on sort d'un rêve, la guitare flottante et la batterie qui se promène autour, joueuse parfois et parfois discrète. La chanson apparaît sur United, premier opus du groupe versaillais, sorti discrètement il y a plus de 14 ans maintenant. C'est le même album qui contient Too Young et le désormais célèbre If I Ever Feel Better. Comme d'autres groupes français, Phoenix est resté relativement méconnu en France pendant une longue période avant que ses succès à l'étranger ramènent le groupe sur le devant de la scène. Il est amusant de se dire qu'en 2006, Phoenix à son troisième album commençait seulement à percer en France alors qu'ils étaient populaires outre-atlantique depuis quelques années déjà.

4. Tom Rosenthal - Go Solo
The Pleasant Trees EP (2014, Audio Network Limited)

C'est l'histoire de quelqu'un qui revient vers l'être aimé. Sans hâte mais déterminé. Le piano, limpide, se délie comme le paysage défile, donnant au morceau un dénuement qui met en avant les paroles simples et la voix rauque mais sereine de Tom Rosenthal. En l'espace de deux minutes et demie, il atteint une justesse poignante que beaucoup de chanteurs échouent à trouver dans des morceaux plus longs ou plus complexes. On s'imaginerait presque une nouvelle figure de singer-songwriter torturé, mais "créatif" est le premier mot qui convient pour décrire cet auteur-compositeur londonien de 26 ans. Insatiable, il s'amuse follement à jongler avec son blog, sa caméra, son matériel d'enregistrement pour produire quantité d'images, composer pour le cinéma ou illustrer par ses chansons des sujets aussi variés que les pastèques, les baguettes ou les chaussettes trouées. Quand il finit de composer une vidéo, il la met en ligne et légende simplement "new song", ou alors "celle-ci est trop courte et pas assez bonne pour mon prochain album, alors vous pouvez l'avoir gratuitement si c'est ce que vous décidez de faire". Il ne semble pas près de s'arrêter. Un type chouette, ce Tom Rosenthal.

5. Tiny Little Rocks - Again
Again (2014)

Il n'y a pas beaucoup de doutes à avoir quant aux influences de Tiny Little Rocks, le projet solo de Pierre Guillaume, basé à Bruxelles. On est au croisement de Radiohead et d'Archive, avec peut-être une touche de Muse. Seulement quatre chansons ont vu le jour jusqu'à présent et toutes sont imprégnées de cet ADN post-rock. Again ma paraît être la plus aboutie. On y ressent une sorte de libération à mesure que les différentes strates du morceau se superposent, guidées par une voix envoutante sans être ennuyeuse. L'instrumentation reste classique mais chaque composante joue efficacement son rôle. Difficile de savoir si notre musicien belge entend faire paraître d'autres compositions alors on garde un oeil sur sa page Bandcamp en attendant.

6. The Districts - 6 AM
A Flourish and a Spoil (2015, Fat Possum)

Je n'ai vu The Districts en concert que l'espace de deux chansons, sans savoir que c'était eux. Je me souviens d'une énergie bestiale et électrisante, comme hors de ce monde, d'un groupe qui transpire sa musique, déterminé à jouer comme s'il n'y avait pas de lendemain. Ces quatre mecs de vingt ans, sortis de leur banlieue de Pennsylvanie, se livraient sans retenue sur scène, et je ne les connaissais pas assez. Je voulais les entendre jouer le poignant Funeral Beds mais je suis arrivé trop tard. En ce mois de février, j'attendais avec impatience A Flourish and a Spoil, leur second album sorti chez Fat Possum après avoir autoproduit leur premier opus. Je l'avoue, je n'y ai pas trouvé ce que je cherchais, mais il y avait ces moments... Ces moments de grâce, comme sur cette chanson 6 AM qui clôt l'album en acoustique après les 8 minutes endiablées de Young Blood. Je regrette que Rob, le chanteur, ait choisi de saturer sa voix et sa guitare, comme une façon de dresser un mure factice entre nous et sa mélancolie. Car sur cette version il retrouve ses accents de sincérité exaltée, dépouillée et si touchante, ceux des chanteurs de blues qui ont des années d'errance au compteur. Voilà, il vous prend par le col, il vous prend à témoin, il vous agrippe, commence à courir, et ni lui ni vous ne savez où tout cela va mener.
  • Ondine de La Blogothèque vous en parle mieux que moi : par ici.
  • A écouter : au moment où je finalise ce post, NME vient de publier une version de 6 AM non saturée que je préfère à celle de l'album.
7. Girls - Honey Bunny
Father, Son, Holy Ghost (2011, True Panther Sounds)

Il y a de ces chansons sur lesquelles on peut entendre le sourire du chanteur. C'est le cas sur Honey Bunny, où Christopher Owens défie sa malchance amoureuse et affiche sa certitude de trouver, tôt ou tard, celle qu'il cherche. Elle est là quelque part, peut-être juste au coin de la rue, et il est bien déterminé à la trouver et la couvrir d'affection. La mièvrerie des paroles est peut-être ce qui amuse notre chanteur, qui moque justement ces chansons à l'eau de rose lorsqu'il écrase la pédale de frein à mi-chanson et se lance dans une ballade sentimentale inopinée mais très appuyée. Avant bien entendu de remettre les gaz pour notre plus grand plaisir. Father, Son, Holy Ghost est le second et dernier album de feu le groupe californien Girls, basé à San Francisco et malheureusement dissout en 2012. C'est un régal très influencé par le surf rock, vulnérable et inspiré mais aussi punchy et enjoué par moments. Un album d'ailleurs salué par la critique, qui mériterait d'être un classique ne serait-ce que pour sa pochette minimaliste où est retranscrite, sur fond blanc, l'intégralité des titres et paroles de l'opus.

8. The Magician - Sunlight
Sunlight (feat. Years & Years) [Remixes] EP (2014, Parlophone)

Comment placer une chanson outrageusement dancefloor dans une playlist à tendance rock indé ? Il faut assumer. D'abord, prendre la version "Extended Club Mix", rien que ça, du morceau. Celle qui utilise toutes les ficelles éculées de la house commerciale : une bonne minute d'intro sur un beat classique, une voix sucrée qui se rapproche dans un long crescendo, pas plus d'une quarantaine de mots différents côté paroles, et un sommet du morceau qui coïncide avec la relance du beat. Efficace. Qu'on le veuille ou non, The Magician est ce dj belge qui a fait passer Lykke Li à la postérité en remixant I Follow Rivers dans la version que tout le monde connait aujourd'hui. Alors ne vous étonnez pas si vous ou vos invités commencez à vous agiter sur Sunlight.

9. Marvin Gaye - Inner City Blues (Make Me Wanna Holler)
What's Going On (1971, Motown)

Le tour de force de la dernière chanson de What's Going On est de capturer avec une infinie justesse ce blues des grandes villes. Dès les premières mesures on est projeté sur les trottoirs clairsemés à l'approche du soir, le ciel est d'un bleu pâle et le soleil, que l'on devine bas, est masqué par les immeubles. On ressent ce souffle de vent froid tandis seuls brillent les feux tricolores, les premiers phares des voitures et les enseignes en néon. Tout cela, on le remarque à peine tandis que l'on patiente à un passage piéton. Inner City Blues est la bande-son de celui qui écoute la ville, de celui qui est sorti de chez lui sans but, pour prendre l'air et tenter de respirer un peu. Las, il n'y parvient pas car il étouffe encore et toujours, au point de vouloir crier (Make Me Wanna Holler). Comme le reste de l'album, c'est un chef d'oeuvre de la soul, très visuelle, qui évoque par esquisses les problèmes sociaux très concrets de la population pauvre des zones urbaines. C'est un album d'une autre dimension, une prise de risque immense pour un chanteur auquel tout le monde (et surtout son label, Motown) a conseillé de rester à l'écart des protest songs. Qu'importe, Marvin Gaye a trouvé sa voie. A la fin de l'album, il achève son chef par ces 3 vers : "Everybody think we're wrong / Who are they to judge us / Simply cause we wear our hair wrong".