Mixtape Juin 2015


Nous voici partis pour 3 mois de festivals et de voyages, pendant lesquels il va falloir choisir entre aller voir les groupes qu'on adore et tenter l'inconnu pour dénicher de nouvelles pépites. On va aussi garder un oeil sur les sorties d'albums car les labels ne prennent pas de grandes vacances. En attendant le duel au sommet entre Ratatat et Tame Impala pour le mois de juillet, voici la sélection de ce caniculaire mois de juin. Au passage, j'offre une Piña Colada à quiconque me trouvera un nom français valable pour ce cuivre bizarre qu'est le flugabone (voir le paragraphe sur Highasakite).

1. FFS - Little Guy from the Suburbs
FFS (2015, Domino)

Lorsqu'il a été annoncé début mars que Franz Ferdinand allait s'allier à Sparks pour travailler sur un nouvel album, les fans de l'archiduc se sont réjoui d'emblée, même si beaucoup se demandaient qui pouvait bien être Sparks pour avoir l'honneur de bosser avec les auteurs de Take Me Out. Sparks, eh bien, ce sont deux frangins soixantenaires qui depuis les années 1970 sortent régulièrement des albums à l'écriture excentrique, des marathoniens de la pop qui ont renoué avec un relatif succès au début des années 2000. Franz Ferdinand et Sparks, désormais FFS, auraient songé à composer ensemble depuis le milieu des années 2000. Produit par le magicien John Congleton, le résultat de la collaboration ressemble plus, comme le note Pitchfork, à "un album de Sparks accompagné par des musiciens particulièrement affutés" qu'à une rencontre à mi-chemin susceptible de produire du neuf. Cela étant dit, le résultat est musicalement très propre et retrouver la voix d'Alex Kapranos est un plaisir, comme sur Little Guy from the Suburbs où il parvient à placer dans une même chanson, en français s'il vous plaît, "vive le québec libre" et une référence à Jean-Paul Sartre. Il n'est pas certain que le morceau ait du sens mais il déroule agréablement une ampleur majestueuse qui rappelle les les westerns de nos parents.

2. FM Belfast - Holiday
Brighter Days (2014, World Champion Records)

FM Belfast est un groupe de pop certified fresh, si l'on devait reprendre la classification que Rotten Tomatoes utilise pour les films. Ce trio fou-fou fondé à Reykvavik en 2005 consacre son temps et son énergie à peaufiner des mélodies irrésistiblement dansantes comme I Don't Want To Go To Sleep Either, par laquelle je les avais découvert en 2011. En live ils convoquent leurs potes pour se retrouver à six sur scène, non parce qu'ils ont besoin de nombreux musiciens mais principalement parce que plus on est de fous plus on rit. La scène islandaise est particulièrement foisonnante comme en atteste chaque année la diversité de la programmation du festival Iceland Airwaves organisé en novembre ; chacun de ces musiciens travaille en parallèle sur un ou plusieurs projets. Je suis forcé de rappeler que l'on parle ici de gens qui portent des noms comme Lóa Hlín Hjálmtýsdóttir ou Árni Rúnar Hlöðversson et nomment leurs groupes "Terrordisco" ou "Motherfuckers in the House". Sur Holiday, on retrouve les marques de fabrique de la pop scandinave à savoir des synthés lumineux et des percus enjouées, augmentées de boites à rythmes pour rajouter encore de la couleur. Si jamais vous avez l'occasion de les voir n'hésitez pas une seconde, leur bonne humeur est irrésistiblement contagieuse.

3. Christopher Owens - Selfish Feelings
Chrissybaby Forever (2015, Turnstile)

Un grattement frénétique à la guitare retient le décollage de Selfish Feelings. Chistopher Owens s'approche du micro et annonce ses intentions dans un murmure lascif : "I plan on text-messaging you when I get home". Quelques secondes plus tard une salve de batterie lance le morceau dans un tourbillon festif. Owens abandonne la retenue et déballe son exaltation : "Gimme gimme... the feeling and... I get so high that hit the ceiling". La chanson alterne entre mesure et démesure et atteste de la douce folie d'Owens, qui a eu l'obligeance de nous prévenir en se présentant en camisole sur la pochette de son album. Chrissybaby Forever a été annoncé sans prévenir à la fin mai et se rapproche beaucoup de ce qu'Owens faisait avec son très regretté groupe Girls, évaporé en 2012. Les seize morceaux sonnent clair à la guitare sous une influence sixties assumée et une belle dose d'optimisme.

4. Highasakite - Heavenly Father
Heavenly Father (Single) (2015, Propeller Recordings)

Comme il se doit, Heavenly Father débute comme une prière. Un battement appuyé et un flugabone pour le côté solennel, des claquements de doigts pour évoquer le gospel. Alors, la voix céleste d'Ingrid Helene Håvik soulève magistralement la chanson qui se fait hymne et se déploie dans l'espace. On plane complètement et on remercie la radio australienne Triple J d'avoir invité les norvégiens de Highasakite à se prêter à l'excercice de la reprise pour leur segment Like A Version. Heavenly Father a été écrit par Justin Vernon de Bon Iver pour la très riche bande originale de Wish I Was Here, le dernier film indé de Zach Braff. Sauf que Vernon a fait dans la surcharge baroque sur la partition originale, ajoutant des couches d'instruments qui nuisent à la limpidité du morceau. Il revenait donc à un autre groupe de pousser le morceau vers ses cîmes méritées et, comme le monde est petit, c'est Highasakite qui s'en est chargé. Bon Iver connaît bien les norvégiens puisqu'il les a découvert à Oslo en 2012 avant de leur demander d'assurer la première partie de ses concerts.
Egalement disponible en mode folk song, la version du talentueux Sammy Lopez : c'est par ici.

5. Grand Blanc - Montparnasse
Grand Blanc - EP (2015, Enterprise)

Dans une atmosphère pesante, la voix est puissante, libre, souveraine dans l'espace machinal des deux notes de guitare. Elle résonne, solitaire. Le ton est lugubre. Les mots sont intimes et acérés, évoquant les désirs sincères - "Je veux une vie de printemps" - et les désillusions - "Pour moi la terre a trop tourné". Chaque syllabe reprise évoque d'autres mots et accentue l'émotion froide des premières mesures. Cette ballade est un appel sorti de la douleur, un dernier appel au bout de la route, avant le renoncement. Aux Solidays un samedi à 21h, j'ai découvert Grand Blanc avec cette chanson. Avant de la jouer, le chanteur a annoncé qu'elle avait une importance particulière pour eux. Le morceau a commencé et les quelques centaines de personnes présentes, pourtant déjà chauffées par un solide début de set, étaient suspendues à ses lèvres. Le cri "Faites-moi descendre / Pour moi la terre a trop tourné", a tout simplement déchiré le silence, j'ai senti les frissons sur ma peau et je n'étais clairement pas le seul. Lorsque l'on est arrivé au bout de ces paroles tout le monde savait ce qui venait ensuite, tant c'était inéluctable : une telle noirceur exposée au monde ne pouvait appeler que le fracas transcendant du final, une explosion passionnée et salutaire.

6. Cut Copy - Lights & Music
In Ghost Colors (2008, Modular)

L'arrivée de l'été est un prétexte idéal pour remettre à la mode toute la discographie de Cut Copy et leur synthpop débridée. Tout comme le champagne accompagne à merveille les apéros légers, les morceaux du groupe australien pétillent particulièrement lorsqu'il fait soleil, que ce soit à vélo sur le chemin de la plage, ou en pleine bataille d'eau sur l'herbe fraîche. Empruntant autant au rock indé qu'à l'électronica, le quatuor de Melbourne produit des singles rythmés, directs et sans complexes. Mais surtout, c'est leur absence de cynisme qui les rend rafraichissants. Les chansons sont joueuses et sans prétention en termes de construction musicale. Idem côté paroles : le refrain de Lights & Music est on ne peut plus direct mais sans être aguicheur : "Lights and music are on my mind / Be my baby one more time". En somme c'est un groupe généreux dont l'album In Ghost Colours, qui les a propulsés en tête des charts australiens en 2008, reste le plus savoureux cadeau à ce jour, avec une pléthore de tubes comme Hearts on Fire ou Feel the Love. Passez un excellent mois de juillet !