Mixtape Janvier 2016


En janvier, Ziggy nous a fait un dernier pied de nez en rejoignant les étoiles alors que le ramdam médiatique entourant son nouvel album battait son plein. Je sortais d'un week-end passé à écouter sa discographie lorsque son départ fut annoncé par un triste lundi matin. Le froid s'est fait tout de suite plus mordant, et il a fallu rechercher des morceaux pouvant servir de doux compagnons. Il y en a quelques uns dans ce genre à l'intérieur de cette mixtape qui lorgne encore beaucoup sur l'année précédente en attendant de trouver les nouvelles pépites de 2016.

Note : je tiens à remercier vivement mon ami Nicolas pour le très beau cliché qui surplombe cet article.

1. Alt-J - Warm Foothills
This Is All Yours (2014, Infectious Records)

Lorsque Joe Newman abandonne la voix grinçante si caractéristique de morceaux comme Breezeblocks ou Left Hand Free, il devient difficile de reconnaître Alt-J au premier abord. La délicatesse faite mélodie souffle comme une douce brise sur la poésie de Warm Foothills. Newman y partage ses vers avec Conor Oberst, Lianne La Havas, Sivu et Maricka Hackman sur la version studio. Les notes et les mots sont méticuleusement tissés ensemble avec toute la finesse que l'on connaît au groupe de Leeds, qui excelle dans l'évocation d'images fugaces et d'impressions sensuelles. Il faut également admirer l'impression de facilité, de simplicité que dégage cette composition où les instruments se passent le relais dans un souffle et où seules quelques lignes de texte forment deux couplets et un refrain.

2. Roy Orbison - In Dreams
In Dreams (1963, Monument Records)

Roy Orbison porte des lunettes noires. Il se tient droit, la tête haute. Il déchire sa guitare par des ballades à se damner et les adolescents qui l'écoutent savent alors que leur peine est réelle. Sur ses meilleures chansons il arpente l'envergure de sa voix chaude et mélodieuse pour exprimer comme nul autre les tourments amoureux. Orbison est une des légendes fondatrices du rock and roll, éclipsé pourtant par Elvis, Johnny Cash ou Carl Perkins. Ils ont écrit à la même époque que lui les premières pages de l'âge d'or du rock de Memphis, cette période de 8 ans qui débute en 1952 et qui verra le producteur Sam Phillips attirer sur son label Sun Recordings les meilleurs musiciens des Etats-Unis. En 1960 il quitte Sun pour Monument Recordings et réunit autour de lui sa dream team de musiciens pour ses sessions d'enregistrement. A la recherche d'un son clair lui convenant sur mesure, il emploie souvent un section de cordes supplémentaire que l'on peut entendre sur In Dreams. Ce son particulier sera baptisé "son de Nashville" et sera amplement popularisé par Monument. Le début des années 1960 reste probablement la meilleure période de Roy Orbison qui signe une ribambelle de chansons remarquables (Uptown, Only the Lonely, Blue Angel, In Dreams, et Running Scared) souvent enregistrées en une prise et sans doublage a posteriori.

3. Little May - Bow & Arrow
For the Company (2015, Capitol Records)

Composé des trois australiennes Liz Drummond, Hannah Field et Annie Hamilton, Little May est un trio indie folk gracieux et réconfortant. Sur des compositions plutôt solennelles leurs voix suspendent des notes graciles et claires. Drummond feint de perdre haleine au rythme des mélodies agiles qui jalonnent For the Company. La pochette ébène aux lignes blanches de leur premier album correspond parfaitement à l'ambiance élégante d'un album où les partitions rappellent The National quand les harmonies tiennent de First Aid Kit, en plus soyeux. Les cordes s'élèvent et fondent tandis que le piano fait discrètement sonner des accords majeurs sur toute la longueur d'un album plaisant auquel on reprochera à la rigueur un manque de prise de risque. Ou peut-être simplement l'absence d'une piste plus brillante que les autres, d'un morceau qui se détache. Home, Seven Hours, Bow & Arrow ou Cicadas sont d'agréables compositions mais y en a-t-il une qui l'emporte sur les autres ?

4. Marlon Williams - Hello Miss Lonesome
Marlon Williams (2015, Caroline Australia)

Une, deux, trois notes et Marlon Williams sonne une charge haletante à la double guitare montée sur une batterie féroce. La basse n'est pas en reste avec un thème à la Johnny Cash qui marque la cadence tandis que Williams étire les foulées d'une voix franche et assurée. A seulement 24 ans, il est l'enfant chéri de la country néo zélandaise. Né dans la bourgade côtière de Lyttelton, ses parents lui font découvrir aussi bien des artistes comme Elvis, les Beatles et Gram Parsons que les chants maori traditionnels. Il choisit la musique comme sa voie et entre dans la prestigieuse université de Canterbury mais les succès locaux de son groupe The Unfaithful Ways et son dédain pour les codes de l’instituion l'incitent à écourter son séjour. Il entame des collaborations avec des grands de la country néo-zélandaise, dont un duo avec Delaney Davidson qui leur vaudra deux récompenses nationales. Son premier album solo éponyme est sorti en 2015 et en ce début d'année il se lance à la conquête des Etats-Unis et de l'Europe.

5. Allo Darlin' - We Come from the Same Place
We Come from the Same Place (2014, Fortuna Pop!)

We Come from the Same Place est un morceau de twee pop : un petit truc précieux, rieur, cachottier, espiègle, qui fait des yeux tout ronds quand on le regarde avec un air sévère et s'en sort avec un imparable sourire. Sur scène, Allo Darlin' fait scintiller des arrangements légers et mélodieux grâce à la voix d'Elizabeth Darling, d'origine australienne, et la désarmante sympathie de trois acolytes rieurs qu'elle est allée dénicher dans le Kent anglais. Ces adeptes des petites salles nous offrent des chansons se fredonnent à la folie et quand le ukulélé est de sortie chacun se retrouve à taper dans ses mains pour accompagner des refrains qui rappellent Camera Obscura ou Belle & Sebastian. Après les délicieux Allo Darlin' (2010) et Europe (2012), We Come from the Same Place nous entoure à nouveau d'une gaité sucrée qui incite à balayer d'une chiquenaude tout le sérieux de la vie.

6. Brian Eno - Golden Hours
Another Green World (1975, Island Records)

Golden Hours est une chanson au charme étrange où Brian Eno compose une ode aussi légère que le passage du temps qu'elle décrit. Comme un impressionniste il tente de figer par petites touches ce qui par essence est insaisissable. Par des caresses rapides de la partition il recrée les heures dorées, le soleil qui décline et les soirs qui glissent sur nos vies. Les journées ne sont plus qu'un souvenir qui s'estompe mais la mélodie demeure, comme une impression qui persiste. Another Green World est l'album clé du très influent compositeur américain Brian Eno. Nous sommes en 1975 et Eno décide de confronter les possibilités offertes par les nouvelles technologies d'enregistrement en studio à un processus - son obsession de toujours - créatif qui accorde une grande place à la collaboration et au hasard. A l'écoute, la plupart des morceaux sont étonnement modernes et l'on entend clairement l'influence qu'ils ont encore aujourd'hui sur le genre ambient.

7. Grimes - Kill V. Maim
Art Angels (2015, 4AD)

Si j'aborde Art Angels avec plusieurs mois de retard, il ne faut pas m'en vouloir. J'ai mis du temps à appréhender le phénomène musical qu'est Claire Boucher, qui figure parmi les artistes contemporaines les plus créatives et déstabilisantes de la scène pop actuelle. Sur la troisième chanson d'Art Angels, intitulée SCREAM, elle place d'inquiétants hurlements de harpie saturés sur les paroles de la rappeuse Taiwanaise Aristophanes qui chante en mandarin traditionnel. Si si. D'ailleurs, il s'agit du son second single tiré de ce quatrième album qui, parait-il, est plus accessible que les précédentes expérimentations de la canadienne de 27 ans. C'est probablement le cas à l'écoute de California, Flesh Without Blood ou même Belly of the Beat. Mais le morceau Kill V. Maim est beaucoup plus intéressant: sur un rythme synthpop soutenu, Boucher pose sa voix et se met bientôt à rugir vers les aigus avec des accents de poupée japonaise. La progression et les variations témoignent d'une impressionnante maîtrise vocale sur un beat libérateur. L'expérience est encore plus déglingo avec le clip de la chanson qui met en scène une inquiétante rave rétro-pop gothique sous influence nippone. A voir absolument en live si l'occasion se présente.

8. Wolf Alice - Blush
Blush EP (2013, Chess Club Records)

Toute en retenue, Ellie Roswell pince quelques notes sur sa guitare. Une fois, puis une autre. Doucement, elle relève sa tête vers le micro et d'une voix cristalline, entonne les premiers mots de Blush. C'est un murmure charmant, une voix de petite fille, un journal intime. Fermer les yeux sur le malheur, se libérer de ce qui fait mal, être heureux grâce à la certitude que l'on est une bonne personne. Le refrain ressemble à un comptine : Punch drunk, dumb struck, pot luck, happy happy. La chanson s'ordonne comme une prise de confiance où les notes s'espacent d'abord comme des silences puis s'entrechoquent et vibrent au rythme de la batterie dans un mouvement grungesque. Pourquoi une personne qui se dit heureuse semble-t-elle si vulnérable, incertaine, presque abîmée ? Esquisse inspirée d'une tension entre confiance projetée et incertitudes intimes, Blush ouvrait en octobre 2013 le premier EP de Wolf Alice. Ce quartet londonien a fait son chemin depuis avec un premier album peuplé de compositions plus sauvages, plus denses, à la frontière du grunge et d'un shoegaze aussi sombre que rêveur.