Overdue December 2015 Mixtape


Cela fait trois semaines que j'aurais dû en finir avec cette liste et je n'ai pas d'excuse. Décembre est le moment des listes, des listes au père Noël, mais surtout le moment de retrouver ses morceaux favoris de l'année écoulée et de les partager avec joie. Alors voici un dernier regard sur 2015 avec certains morceaux oubliés. Et en fin de compte, un retour à la maison, bien au chaud, tranquille.

1. Brandi Carlile - Heroes and Songs
The Firewatcher's Daughter (2015, ATO Records)

Grattant sa guitare sur un fond de mélancolie, Brandi Carlile retrace tendrement la piste d'un amour qui a fait son chemin. Il n'est pas question de regrets mais plutôt d'une immense affection qui domine la tristesse, comme un hommage plein de sagesse. On ne peut pas reprendre tout le coeur que l'on a mis dans une relation, il faut simplement tourner la page : There's nothing I changed from before / I love you my friend, my dear means to an end / But you're not in my dreams anymore. Brandi Carlile a une voix rugissante qu'elle sait retenir pour des éclats d'élégance comme Heroes and Songs, ballade simple mais pleine de tendresse. Avec The Firewatcher's Daughter elle explore à maintes reprises son côté folk pour parler de thèmes personnels comme sur The Eye ou Beginning to Feel the Years. Originaire de Seattle, Brandi Carlile joue avec les jumeaux Tim et Phil Hanseroth depuis le début des années 2000. Radieuse et souriante sur scène elle refuse de voler la vedette à ses deux complices et multiplie volontiers les harmonies au chant.

2. Django Django - Reflections
Born Under Saturn (2015, Ribbon Music)

En entendant le beat de départ, on se dit que l'on va danser. Que l'on est dans une bonne vieille chanson en crescendo, que le pas de deux des premières mesures sera bientôt une cavalcade filant vers un sommet saturé. Mais Django Django est d'humeur particulièrement joueuse sur ce morceau. La voix de David MacLean languit, s'étire sur les syllabes, recouvre la mélodie jusqu'à plus de souffle. Toute la chanson est un leurre. Le premier break reprend le thème principal, le second refrain laisse place à un solo de saxophone presque incongru, la fin est abrupte. Le zénith tant attendu s'éclipse sans être jamais venu. A l'écoute de Born Under Saturn on ressent comme ici une joie de vivre qui joue avec la nature mélancolique des Django. L'affrontement de Reflections confronte la lumière vitale au pessimisme des saturniens : Try to live a perfect life / Paint our world in gold / Before we realized we were owned and sold. En 2012 les quatre britanniques de Django Django perçaient par surprise avec leur album éponyme, un premier essai que MacLean avouait avoir composé en "bricolant en pyjama". Ils ont remis le couvert cette année à la recherche de leur esprit joueur et Born Under Saturn a livré quelques éléments avec Reflections ou First Light.

3. The Weeknd - Losers
Take Two (2015, Republic / XO)

Pour des oreilles déjà insensibles aux tendances du R&B moderne il n'y aura pas grand chose à retenir de Beauty Behind the Madness, le second album du canadien Abel Tesfaye qui se produit sous le nom The Weeknd. Mais il y aura quelque chose tout de même. Coincés entre des pistes trop nonchalantes, l'album possède des morceaux de bravoure sauvage qui n'ont rien à envier aux productions de Kanye West. Outre Can't Feel My Face, c'est le cas de Losers. Si la folie réside quelque part sur cet album, il y en a une bonne dose logée dans ce morceau provocateur qui jette avec confiance des aphorismes urbains érigés en principes de vie. Le thème au piano signe une touche pop mais l'ambiance est sombre, nocturne, angoissante. Tesfaye montre sa voix avec éclat et mène son chant dans de lumineuses et farouches embardées, comme sur l'appel en choeur de mi-morceau. Derrière lui son groupe est en pleine bourre et se déchaine en variant les thèmes, en lançant des instrus riches et endiablées. Qu'il est dommage que le reste de Beauty Behind de Madness soit si conventionnel !

4. Chromatics - In Films
In Films (2015, Italians Do It Better)

Il faut t'imaginer marchant seul au bord d'un route de campagne éclairée par une lune à la clarté blafarde. Il fait nuit et il n'y a aucun son. Tu crois entendre une musique dans le lointain mais il n'y a rien, tu te fais des idées. Pourtant les nappes de brume du prochain virage prennent une douce teinte mauve et turquoise. Une lueur se rapproche au ralenti et le temps se fige au rythme d'une voix lointaine noyée dans une lueur étrange. La musique t'enveloppe comme une chaude caresse tandis qu'une silhouette fend le brouillard glacial. Un modèle de collection passe à ta hauteur et la lueur de ses phares donne à la brume des formes évanescentes. Quelques secondes encore et le voile se referme, le brouillard avale les deux points rouges qui s'enfoncent dans la nuit. Pourtant pendant encore plusieurs kilomètres tu entends cet air dans ta tête. Oooh-ooh oooh-oooh-oooh. Chromatics, c'est cela, c'est cette pop savoureuse qui se démarque en traversant la nuit. Le hook associe un fredonnement léger à un lever de batterie qui ponctue l'incessant retour des basses. En fond s'espacent des clappements de main. L'homme derrière le voile s'appelle Johnny Jewel. Ces derniers temps il a composé pour la BO du Lost River de Ryan Gosling et livré quelques chansons en 2015. Toutes sortes de rumeurs courent sur son prochain album, Dear Tommy, promis pour avril dernier, soi-disant enregistré mais toujours pas publié et qui commence sérieusement à ressembler à une arlésienne de la musique électronique.

5. Tame Impala - Let It Happen
Currents (2015, Fiction)

Tame Impala est le nom du projet musical de Kevin Parker, natif de Sydney et qui compose, joue, chante et produit sous ce nom depuis 2007. D'abord chez lui puis dans son propre studio, il arrange des vagues de sons rêveurs et ouatés sur des riffs rocks volontaires. Empruntant avec maestria au stoner rock comme au psychedélisme des 70s et à la pop douce-amère d'outre-Manche, l'australien se révèle un des meilleurs alchimistes de sa génération. Il le prouve par deux excellents premiers albums, Innerspeaker (2009) et Lonerism (2012). Capable d'éclairer des accords sombres par des synthés lumineux et une voix claire qu'il triture sans cesse, il explore, innove et se met très tôt la critique dans la poche. C'est peu dire que son troisième album, Currents, était attendu. En mars, il commence à dévoiler ses morceaux un par un, l'air de rien. La première piste annonce la couleur : c'est Let It Happen, une chevauchée de presque 8 minutes tout en maîtrise, pour certains une "pépite", pour d'autres "un chef d'oeuvre", qui met rapidement tout le monde d'accord. Currents paraît en juillet et découvre un Kevin Parker qui se renouvelle avec brio en délaissant un peu le côté rock pour des excursions électroniques hallucinées et jubilatoires. L'album est au moins aussi bon que ses prédécesseurs et s'accompagne d'autres sommets comme Eventually ou The Less I Know The Better, qui le font figurer indiscutablement dans tous les tops de fin d'année.

6. Stanley Brinks and The Wave Pictures - Orange Juice
Orange Juice (2015, Fika Recordings)

Né à Paris, Stanley Brinks était de l'excellent trio Herman Düne avec son frère David de 1999 jusqu'à 2006. Depuis son départ le groupe devenu duo a abandonné l'umlaut et a sorti notamment Mariage à Mendoza et sa chanson Holding a Monument pour laquelle je leur suis infiniment reconnaissant. Mais revenons à André Herman Düne : prenant le nom de Stanley Brinks, il partage son temps entre San Francisco, New York, Malte et Berlin et collabore avec des dizaines de musiciens, notamment de la scène antifolk new-yorkaise. Si tu te demandes ce qu'est l'antifolk, souviens-toi de Anyone Else But You des Moldy Peaches qui avait fait une apparition remarquée dans le film Juno. Mais revenons aux Wave Pictures : originaires d'un village du Leicestershire, ils ont commencé par reprendre des chansons de Jonathan Richman avant d'écrire leur propres compositions avec suffisamment de brio pour sortir cinq albums et faire le tour du monde. Herman Düne, l'antifolk, Jonathan Richman, un petit village anglais et le tour du monde, je crois tenir là un parcours sans faute. Mais revenons à Orange Juice. Il semblerait que je peine à me concentrer. Tant pis. De toute manière, à l'écoute de l'entrain et des paroles d'Orange Juice il est évident que cette chanson est un sing along irrésistible et un remède fait de légèreté. A toi : But I'll get by with a little bit of you...

7. Molly Nilsson - 1995
Zenith (2015, Dark Skies Association)

Vous n'entendrez pas beaucoup de chansons qui mentionnent Windows 95 dès le premier vers. Je ne sais pas pourquoi mais cette chanson m'évoque, comme un collage surréaliste, le résultat que l'on obtiendrait si l'on juchait un groupe de shoegaze sur un carrousel prudent. Le leader serait un batteur flegmatique mais minutieux. 1995 égrène une dose continuelle de percussions sur un synthé qui se répercute vers le passé. Le reverb dans la voix de Molly Nilsson et les tribulations du saxophone semblent explorer ce vide mentionné dans les paroles : "Although I'm older now, there's still an emptyness that's never letting go somehow". Le rythme incarne à merveille les projets de jeunesse inaboutis que l'on finit par regarder comme des rêves mineurs en blâmant une volonté attachante qui peine à se fixer et rechute souvent. Zenith est le sixième album de Molly Nilsson, qui donne une envergure toujours plus large à ses compositions écrites entre sa chambre Berlinoise et ses étapes de tournée. Malgré le grandiose des synthés, malgré de pistes expansives qui visent parfois l'universel, Nilsson fait pénétrer l'auditeur au plus proche de ses émotions et de ses doutes, comme cherchant de l'aide pour calmer le feu perpétuel allumé en elle par des sentiments tourmenteurs.


8. LCD Soundsystem - Home
This is Happening (2010, DFA)

Home défile comme une journée en accéléré. On pourrait l'illustrer par un voyage dans le métro new-yorkais en avance rapide, tantôt caméra à l'épaule, tantôt loin au-dessus de la foule, filmé avec un effet de miniature. Mais rien que dans la composition, LCD Soundsystem parvient à superposer deux impressions : la première, c'est que tout va trop vite - tels des voyageurs suburbains pressés les sons s'enchaînent et se dépassent, clignotent, répètent leur trace. L'autre impression c'est l’essoufflement, la lassitude. C'est dans un soupir que James Murphy ouvre le morceau : Take me home. Ramène-moi, que je puisse refermer la porte, souffler, avoir un moment à moi. Comme dans beaucoup de morceaux de rock, la batterie est le socle de la composition et il faut saluer l'écriture de Murphy à cet égard car les percussions portent ce morceau de 7'53 du début à la fin. Les paroles s'adressent à un "ami", celui qui a l'alcool triste mais surtout énervant et qui finit invariablement par lâcher sa mauvaise humeur dans les soirées. Celui qui se met perpétuellement en rogne sans se remettre en question. Ses amis en ont leur claque de le ramener chez lui. Qu'il y reste. La saillie de James Murphy est jubilatoire : "Yeah no one ever know what you're talking about / So I guess you're already there / And no one opens up when you scream and shout / But it's time to make a couple things clear... Home est la dernière piste du troisième et dernier album de LCD Soundsystem, This is Happening. Dans le livret de l'album, James Murphy, co-fondateur du label DFA et incroyable compositeur, salue ses acolytes comme ses "towers" : Patrick Mahoney, Nancy Whang, Tyler Pope et Phillip Mossman. Ils forment une famille, il s'agit de leur dernier album et ils ont déjà prévu de se séparer : l'aventure s'achèvera un 2 avril 2011 à New York, leur foyer, d'un concert transcendant de presque quatre heures au Madison Square Garden.