Mixtape Février 2016



Et cette fois-ci, qu'est-ce que je pourrais bien raconter en introduction ? Que Bloc Party est une bande de losers qui font des concerts d'une heure quinze (salauuuds !) ? Que ça fait plus de deux mois qu'il y a écrit "2016 Tour dates coming soon" sur le site de LCD Soundsystem mais que je continue à checker alors que j'ai déjà des billets ? Que je n'ai pas écouté le dernier album de Kanye West ? Que la série Vinyl de HBO, qui devait être faite pour moi, n'est pas à la hauteur ? Que le mois de février n'a que 28 jours, 29 les bonnes années, et qu'il ne bronche même pas alors que tous ses potes sont en classe affaires ? Vous l'entendez se plaindre le mois de février ? Jamais ! Pas une fois ! Alors !?

1. Walter Martin - Down by the Singing Sea
Arts & Leisure (2016, Ile Flottante Music)

C'est une célébration, c'est de la joie qui déborde, c'est la victoire d'une folk chatoyante, envoutante, entrainante et irrésistible, c'est une journée à la plage, c'est Down by the Singing Sea. Sur un album qui s'intitule Arts & Leisure, Walter Martin, claviériste pour les Walkmen, met le cap côté leisure toutes maracas dehors et se laisse dériver entre les vagues tandis que le soleil scintille. On entend son sourire tandis qu'il décrit les poissons, les crabes et les enfants qui construisent des histoires pour leurs châteaux de sable. Depuis que les Walkmen ont décrété un hiatus, Walter Martin a d'abord fait paraître un album solo destiné aux enfants (We're All Young Together, 2014) avant d'offrir cette charmante flânerie qu'est Arts + Leisure. L'album parle donc d'artistes et d'architectes, de musées tout en passant des vers et des vers à disserter sur le temps libre avec une réjouissante désinvolture. Martin y joue pléthore d'instruments - tous ceux qui lui sont tombés sous la main, apparemment - et traduit dans une écriture joviale sa petite voix intérieure.
  • En bonus, tu arrêtes ce que tu es en train de faire et tu regardes le clip de Down by the Singing Sea parce qu'il va te filer une énorme pêche.

2. Pete Yorn - Summer Was A Day
ArrangingTime (2016, Capitol Music)

Le thème de la réminiscence et du retour à des moments dorés hante régulièrement les artistes et les musiciens n'échappent pas à la règle, surtout quand leur carrière a déjà tracé une partie de son chemin. Pete Yorn a fait du souvenir l'un des thèmes centraux de son nouvel album intitulé ArrangingTime. Le rapport au passé est présent ne serait-ce que dans les titres de chansons comme Screaming at the Setting Sun ou Lost Weekend. Sur Summer Was a Day, il se demande pourquoi la reproduction d'une expérience ne lui procure pas la même satisfaction que le souvenir qu'il en a gardé. Faut-il se préoccuper de son bonheur à chaque instant ? Suivant le mouvement d'une guitare acoustique claire qui se laisse envelopper par des chœurs et brave des arrangements électroniques esquissés en écho, le morceau s'élève jusqu'à son refrain où Yorn tire des accords majeurs et reprend une voix chaude pour s'adresser à lui-même : You never felt so good / You weren't looking for it. Ce n'est qu'après les avoir vécus que l'on reconnait ses meilleurs moments. ArrangingTime est déjà le septième album du songrwriter américain de 41 ans, que l'on avait découvert en 2001 avec musicforthemorningafter. Certains se souviendront également de Break Up et du single Relator, fruit de sa collaboration avec Scarlett Johansson en 2009.

3. Cloves - Don't Wait
XIII (2015, Duly Noted Records)

Certaines voix imposent le silence, apaisent, caressent l'oreille. A 19 ans, l'australienne Kaity Dunstan montre ce qu'elle sait faire sur un morceau franc, intime mais pas fragile tant la manière de chanter confère à la voix une impression de sérénité. Tandis que ses nombreuses aînées - on pense à Adele ou Duffy - jouent sur la fragilité et l'émotion, Cloves choisit ici un registre lent et assuré, dans une composition dont la sobriété offre à sa voix un piédestal. Les syllabes s'espacent naturellement et c'est presque si l'on entend le détachement de la langue sur le palais lorsque les consonnes se font dentales. Don't You Wait est le second morceau de l'EP XIII, paru en août dernier. Il comprend 3 autres chansons sur lesquelles Dunstan s'accompagne d'un piano, visite les aigus avec justesse ou bien adopte un registre plus folk avec une simple guitare acoustique. On ne devrait pas tarder à entendre parler d'elle à nouveau puisque son talent a attiré l'attention des producteurs Justin Parker (Lana del Rey, Rihanna, Sia) et Rich Cooper (Tom Odell, Mumford and Sons) qui l'entourent pour l'écriture de son premier album.

4. The Rural Alberta Advantage - Vulcan, AB
Mended With Gold (2014, Saddle Creek)

Parmi les meilleurs ambassadeurs de la province canadienne de l'Alberta figure le trio indie rock canadien The Rural Alberta Advantage. Formé en 2005 à Toronto, il se compose de Nils Edenloff au chant et à la guitare, d'Amy Cole pour seconde voix et aux claviers, et de Paul Banwatt pour la partie percussions, toujours très présente dans les compositions du groupe. Ils chantent les grandes prairies et les petites bourgades comme ici Vulcan, décrite en ces termes par un visiteur : Vulcan is a small town of 1800 residents in south central Alberta of little consequence, save a cheesy Star Trek Starship replica and a Trekkie “tourist station”. I spent a week there one day. Le nom de la ville a donné à ses habitants l'idée de construire une attraction et une réplique du vaisseau U.S.S. Enterprise bien connu des fans de Star Trek. Le trio semble familier de l'endroit et lui dédie ce morceau. Un synthé languissant et une batterie animée guident ce morceau où la voix d'Edenloff est tantôt empreinte de passion et tantôt d'une résignation caustique. On imagine des amours adolescentes, la difficulté d'une rupture sans cesse repoussée, des émotions infinies qui se heurtent à l'étroitesse de leur petite ville de campagne. You and me in the Enterprise, stuck in Vulcan another night.

5. Marvelous Toy - There's a Red Light Above Me
Not Moving (2012, I Feel M.T. Records)

There's A Red Light Above Me capture en une chanson ce que le son indie rock d'aujourd'hui fait de plus réjouissant. Depuis déjà longtemps le mot indie ne signifie plus l'indépendance vis-à-vis d'une major de l'industrie musicale ou d'un de ses labels. C'est un attribut qui fleure bon l'ingénu, le spontané, avec une dimension do-it-yourself. Il sert aussi à se démarquer du son des grandes figures qui ont établi le rock moderne (Springsteen, les Stones etc.) et font des tournées pour lesquelles le prix des billets en fosse est égal à l'âge moyen des membres du groupe. Pour le rock, en bref, on entend une batterie et de la guitare, mais pour le reste c'est un petit carnaval. En explorant les Bandcamp, Soundcloud et autres Hype Machine il n'est pas évident de tomber sur des groupes qui à l'instar de Marvelous Toy s'élèvent au-dessus de la masse. L'album Not Moving est franchement bon et plein d'énergie comme ici avec ce morceau remarquable de dynamisme qui enchaîne les variations de structure sur un tempo réjouissant. Le piano en est la pièce centrale et reprend le dessus vers 1:53, lorsque les frères Jordan et Cody Hudock martèlent allègrement leurs claviers tandis que les autres instruments reprennent leur souffle. Il y a de la maîtrise dans les arrangement de Jordan Hudock, et lui et son groupe ont de la bouteille à force d'écumer les bars et les petites salles de la Californie avec leur folk rock teinté de rockabilly. Il reste seulement à espérer qu'ils nous offrent bientôt un nouvel album et s'aventurent de notre côté de l'Atlantique.

6. Escondido - Leaving Brooklyn
Walking With a Stranger (2016, Kill Canyon)

Escondido est un duo composé de Jessica Maros et Tyler James, originaires de Nashville où l'omniprésence de la country ne les a pas empêché de créer leur propre univers. Elle à la voix, lui à l'accompagnement et à la guitare, le duo se présente sur scène enrichi d'une basse, d'une batterie, et de clavier, ainsi que d'une pedal steel guitar, très présente sur dans les compositions du groupe. Sur Walking With A Stranger, Escondido reste dans la lignée de leur premier album - qu'ils avaient enregistré en une journée et autoproduit - mais la production gagne en clarté. L'univers du groupe s'installe clairement aux frontières de la folk et de la country et les arrangements de morceaux comme le splendide Try ou Leaving Brooklyn, où les délicates vibrations des guitares  répondent aux harmonies à 3 ou 4 voix, témoignent d'une attention particulière portée à la mélodie et à l'atmosphère. Les thèmes abordés explorent les écueils des relations proches, les incompréhensions, ces gens avec lesquels on vit, que l'on connaît, et tout à coup l'impression qu'ils nous sont étrangers. Le duo a bien entendu plusieurs cordes à son arc est assure également dans des rythmes plus élevés comme la cavalcade de Footprints ou l'entrainant Gambling Man.

7. Basia Bulat - La La Lie
Good Advice (2016, Secret City Records)

Le quatrième album de Basia Bulat, Good Advice, est né dans la douleur d'une rupture qui l'a fait embarquer dans la voiture de sa mère pour rouler jusqu'au Kentucky, où elle a enregistré la plupart des chansons de l'album. C'était en juillet 2014. Deux autres voyages auront suffi à transformer des démos rugueuses en chansons pop avec un grain de psychédélisme. Comme un signe qu'il était temps de tourner la page, les morceaux les plus réussis sont les plus chatoyants comme Infamous ou La La Lie (hommage à Simon & Garfunkel ?). Sur un air d'orgue haletant, par des phrases courtes et hachées, Basia Bulat crée cette impression d'être à bout de souffle dès la première chanson de l'album. Trop de mensonges, trop "d'histoires", celles de l'autre qui ne la trompent plus, et celles qu'elle-même se raconte pour continuer à croire qu'elle tient le coup. Can you lie lie lie, la la la lie, keep lying to yourself ?.

8. Get Well Soon - Young Count Falls for Nurse
LOVE (2016, Caroline Records)

Avec son projet Get Well Soon, le chanteur-compositeur Konstantin Gropper est l'un des enfants chéris de la scène musicale berlinoise, d'habitude plutôt réputée pour la qualité de son électro. Né dans le Bade-Wurtemberg, tout proche des frontières suisse et autrichiennes, il grandit à la campagne avant de partir vers Dublin pour, au final, s'installer à Berlin. Ce multi-instrumentaliste arrange aussi bien le violoncelle que le piano ou la guitare pour planter de vastes décors et y installer sa voix dont la sérénité rappelle parfois Matt Berninger (The National). Certaines de ses compositions sont un territoire obscur qu'il arpente prestement avant de s'en retirer, laissant la musique reprendre ses droits. D'autres comme Young Count Falls for Nurse sont de radieuses chansons pop qui ouvrent l'horizon. LOVE est son cinquième album et présente un cœur de ballades pop/folk accueillantes entourées de rumeurs plus mystérieuses qui menacent à tout instant d'enfler en autant d'hymnes noirs. En somme, Get Well Soon est l’œuvre d'un incorrigible romantique.

9. Mass Gothic - Want To, Bad
Mass Gothic (2016, Sub Pop)

Par des accords foudroyants en début de morceau et une batterie rageuse, Noel Heroux attaque bille en tête le troisième morceau de son premier album chez Sub Pop. Mass Gothic est un nouveau départ pour Heroux qui confesse avoir traversé une période difficile après une dizaine d'années à la tête de son groupe Hooray for Earth. S'étant retrouvé dans une impasse, "super déprimé, frustré créativement, indisponible émotionnellement pour ses être chers", il réalise que pour en sortir il doit s'autoriser à repartir de zéro. Son nouveau projet rentre difficilement dans une case particulière tant il mêle pop, rock et sons électroniques au service de compositions très souvent dansantes ou tout du moins agitées. En tous cas, les guitares ont la pêche et les percussions se font entendre comme en atteste Want To, Bad, qui accélère porté par un mur de riffs stridents qui accompagnent d'abord falsetto du premier refrain puis finissent par se déchainer sans complexe après le deuxième retour. Un régal.

10. The Black Ryder - Isn't It a Pity (Live)
George Fest - A Night To Celebrate The Music Of George Harrison (2016, Universal)

Isn't it a pity, isn't it a shame / How we break each other's heart / And cause each other pain ?. Ce soir-là, c'est à Aimee Nash et Scott Von Ryper qu'est revenu l'honneur d'interpréter Isn't It a Pity. Le duo australien The Black Ryder faisait partie des innombrables musiciens réunis au Fonda Theatre pour le George Fest, un concert pour célébrer la discographie du plus jeune des Fab Four. Universal vient de faire paraître l'enregistrement du concert et nous donne une occasion de replonger dans la musique d'Harrison, compositeur accompli qui a passé les sixties dans l'ombre de Lennon et McCartney. Alors que les Beatles achèvent de se séparer il met en musique au printemps 1970 tous les morceaux qu'il a composé pendant la Beatlemania, dont certains comme My Sweet Lord ou What Is Life n'ont jamais trouvé leur place sur un album du groupe de Liverpool. Le résultat est le triple album All Things Must Pass, nimbé du mysticisme propre à Harrison mais surtout brillamment orchestré avec l'aide de Phil Spector et à grand renfort d'instruments et de collaborateurs (Eric Clapton, trois des quatre Derek and the Dominos, Ringo Starr, Gary Wright...). La version épique (il y en a une seconde, plus sage) de près de sept minutes de Isn't It a Pity est probablement le sommet de l'album. C'est un morceau tout en crescendo qui débute comme une oraison à la guitare acoustique et s'anime, ajoutant la section rythmique un peu avant le second couplet, s'élève, trouve la slide guitar d'Harrison après deux minutes, semble se retenir mais enfle par un solo de claviers, rejoint dans la version originale par un orchestre de cuivres et de cordes avant que le na-na na-na-na-na du chœur vienne lancer le feu d'artifice final. A Harrison il ne manquait que la voix pour transcender ses morceaux. Le ton suave d'Aimee Nash fait donc ici merveille.