Mixtape Mars 2016



Cette sélection sera la preuve que malgré le peu de temps que j'ai passé à écouter de nouvelles choses ce mois-ci il y a eu suffisamment de bonne musique en mars pour que je parvienne à en retenir pas mal. Bon alors par contre c'est un peu rock au début, beaucoup au milieu, et toujours pas mal à la fin. Vous voilà prévenus.

1. Explosions in the Sky - Disintegration Anxiety
The Wilderness (2016, Temporary Residence)

La première fois que j'ai entendu Disintegration Anxiety, le DJ parlait par-dessus l'intro pour faire la liaison entre deux sets de chansons. Je lui avais écrit pour demander quel morceau passait en arrière-plan, en pensant que ces quarante secondes organiques sortaient tout droit d'Interstellar. Non non, me fut-il répondu, il s'agit du nouveau single d'Explosions in the Sky. Soit dit en passant, s'il y a bien un morceau qui illustre des "explosions cosmiques" et "l'angoisse de la désintégration", c'est celui-là. Les percussions sont saturées, implacables, et le synthé tire d'obsédantes rafales tandis que l'on s'enfonce dans le noir. Le riff de fin est une ligne de lumière inespérée mais aveuglante que l'on aimerait suivre sur plusieurs mesures encore tant elle est libératrice. Explosions in the Sky est un groupe post-rock majeur dans le paysage musical, que chacun connaît sans le savoir. On leur doit de nombreuses bandes originales dont celle de Friday Night Lights ainsi que des chefs d’œuvre instrumentaux que les créatifs de tous bords ont tendance à recycler pour leur dimension épique et poétique. Leur musique est propice à un abandon rêveur qui transcende quiconque s'y plonge pour quelques minutes. The Wilderness est leur sixième album.

2. Iggy Pop - Gardenia
Post Pop Depression (2016, Loma Vista)

Iggy Pop a 68 ans et sa chanson préférée est toujours I Wanna Be Your Dog. De cette photo, Bowie est parti, Lou Reed n'est plus là, mais Iggy demeure, lui qui est pourtant l'excès incarné, lui qui aurait dû brûler sa chandelle le plus vite. Mais Iggy a encore du chien. On a pu s'en rendre compte à South by Southwest où il a assuré un show d'une heure et demie là où la tradition veut que les concerts d'Austin durent une demi heure. Son nouvel album est sombre mais racé. Intense, il a l'odeur des braises. Pour livrer ses sentiments de sa voix de seigneur, pour composer Post Pop Depression, Iggy Pop a rameuté Josh Homme, le maître des Queens of the Stone Age, qui assure les chœurs et distille des accords venimeux. A l'instar de Gardenia, les chansons sont d'un rock impérial, les guitares font des étincelles calculées sur un groove new wave impeccable. Pendant que Dean Fertita (lui aussi des Queens, et Dead Weather) et Matt Helders (des Arctic Monkeys) cognent leur blues, Iggy balance des paroles parfaitement déplacées avec un détachement jouissif pour se remémorer ses nuits avec Gardenia, une putain aux formes marquantes qui l'a abandonné.

3. HÆLOS - Pray
Full Circle (2016, Matador)

Les paupières fermées, de noir vêtus et baignés d'une lumière bleue, Arthur Delaney, Dom Goldsmith et Lotti Benardout respirent profondément pendant qu'une marée de synthés enfle puis se retire. "Well, you just can't hold the heist. Like Sunday skies. And broken rhymes." Leurs voix s'allient à merveille dans un souffle suspendu tandis qu'une caresse de cymbale annonce les percussions en embuscade. Quelques moments plus tard, les harmonies passent dans les aigus pour scander le refrain. Chaque chanson du groupe Londonien HÆLOS est à mi-chemin entre le rituel et la catharsis. Influencés par Portishead et Massive Attack, ils sont à la recherche de cet équilibre éphémère qui suit la violence des sentiments et l'euphorie des nuits urbaines. Ce répit, ils l'ont cherché chacun à leur manière dans leur carrière en solo, avant de réunir pour composer ensemble Full Circle, leur premier album paru chez Matador Records.

4. The Sweet Serenades - Fireworks
Animals (2015, Leon Records)

The Sweet Serenades est un duo suédois pas tibulaire mais presque, composé de Martin Nordvall (chant et guitare) et Mathias Näslund (guitare). Fireworks est la première chanson que Martin a enregistré pour l'album Animals. Il dit être parti de quelque chose de très simple, deux accords, un son qui rappelle la jungle et un principe de répétition qui guide la musique comme les paroles. D'abord "Let’s runaway, drive all night, hand in hand, side by side - never look back" puis "Strong heart, pumping blood, fireworks, lightning up the sky", et cette envie de se frapper la poitrine pour se sentir vivre. Rien d'innovant mais la recette fonctionne, en partie aussi grâce à l'ajout d'une voix féminine et de plusieurs strates supplémentaires au fur et à mesure que le morceau progresse. Leur album Animals a été particulièrement bien reçu en Suède et en Allemagne et le groupe était en tournée tout l'hiver. Ils seraient déjà en train de planifier un nouvel opus.

5. Lucy Dacus - I Don't Wanna Be Funny Anymore
No Burden (2016, Egghunt Records)

Trois guitares, une basse et une batterie pour un morceau aussi simple cela semble beaucoup mais nous allons considérer que Lucy Dacus aime faire participer ses copains. On la voit souvent sourire sur scène avant que ses acolytes n'entament I Don't Wanna Be Funny Anymore, la première chanson de son album No Burden. Comme si elle avait déjà conquis son public. Il faut dire qu'en moins de trois minutes Dacus fait admirablement varier sa voix trainante sur un morceau rock sans ambages et bien mené. La fin est un peu abrupte, mais après tout le message est passé : "That funny girl doesn't wanna smile for a while". Lucy en a assez que l'on plaisante à son sujet, assez d'être celle qui parle un peu trop vite et un peu trop fort alors elle a pris sa guitare et s'est mise à écrire des chansons. On retrouve ce thème dans les sept minutes de Map On a Wall où elle chante "Oh please, don’t make fun of me / with my heart of gold and my restless soul / Oh please, don’t make fun of me / This smile happens genuinely." Lucy est une fille sympa, elle n'y peut rien.

6. The Frights - Kids
DeathFrights Split EP (2014, Postmark Records)

Il y a peu de choses plus immédiates que du surf rock qui tire sur le punk. En la matière, voici un "groupe en The" de San Diego qui chante les écueils de leur nouvelle vie d'adulte. Il est assez amusant d'entendre des têtes brûlées chanter "Aaaaah-aah, I miss my Mom and Dad" en expliquant qu'ils ont toujours eu envie de se barrer de chez eux jusqu'à ce qu'ils le fassent. The Frights est un trio sympathique coaché par Zac Carper (FIDLAR) pour la production de leur nouvel album, You Are Going to Hate This. En étant un peu curieux j'ai remarqué que la version de "Kids" présente sur l'album avait été remaniée et perdait le côté "surf" si agréable de l'originale. Voici donc le morceau "Kids" tel qu'il était paru sur le DeathFrights Split EP d'il y a deux ans. Pour les néophytes, un "split" EP est un album composé à moitié des chansons d'un groupe et à moitié des chansons d'un autre, parce que les deux étant dans la dèche ils n'ont pas les moyens de se payer la production d'un EP à eux seuls. C'est ça la vie d'artiste.

7. Unloved - When A Woman Is Around
Guilty of Love (2016, Unloved Records)

When A Woman Is Around est un délice absolu et si la première écoute ne vous en convainc pas, vous êtes priés d'appuyer sur replay. Tout y est : plongé dans un film noir, tu es bercé par le calme enfumé d'un bar lounge prestigieux d'Hollywood aux lumières tamisées. Voilà qu'arrive sur scène un girls band mystérieux qui fleure bon la femme fatale. Leurs accords de guitares chatoyants sortent tout droit des sixties, les chœurs languissants sont à se damner et le refrain est un régal. On y retrouve les Ronettes, les The Shangri-Las et les Crystals, mais aussi un peu de François Hardy. L'histoire de l'album Guilty of Love se déroule sur trois à quatre ans. Elle est le fruit de la rencontre entre David Holmes, DJ, producteur et compositeur, Keefus Ciancia, compositeur pour le cinéma et la télévision, et la chanteuse Jade Vincent. Les deux derniers ont créé le Rotary Room, un rendez-vous musical au club Virgil de Los Angeles où ils invitent régulièrement à jouer des artistes qu'ils admirent. Un jour, Ciancia est recruté pour jouer des partitions aux claviers sur des compositions de Holmes. Les deux s'entendent à merveille et Ciancia invite Holmes à faire un set au Rotary Room. C'est à partir de ce moment-là que les trois se mettent à écrire des morceaux sous le nom d'Unloved.

8. Pulp - Babies
His 'N' Hers (1994, Island)

Pour planter le décor lorsqu'il s'agit de Pulp, j'aime à dire qu'ils ont écrit la meilleure chanson des années 1990 : Common People. Cette chanson est plus ancrée dans l'ADN de la classe populaire britannique que Wonderwall ou Swing Low, Sweet Chariot (bon pour celle-là je m'avance peut-être un peu). Mais la bande du déjanté Jarvis Cocker, ces hérauts de la working class qui chantaient sur la vie, la mort et les supermarchés, ont bien d'autres chansons dingues dans leur répertoire. Pulp c'est du plaisir sans filtre, de la folie qui ramène en enfance avec le sourire aux lèvres. Prenons Babies. C'est l'histoire d'un petit gars qui tente d'expliquer à l'élue de son cœur qu'il a passé ses après-midis à se planquer dans le placard de la chambre de la grande sœur de cette fille, pour la voir coucher avec des garçons, jusqu'à ce qu'il se fasse surprendre dans ledit placard par ladite grande sœur et qu'il couche avec elle, mais qu'en fait il est uniquement amoureux de la petite, promis, juré. Enfin il y a des détails. Enfin c'est plus compliqué. Mais le refrain il est simple, retiens-le, c'est ça : "Oh, I wanna take you home / I wanna give you children / You might be my girlfriend / Yeah yeah yeah yeah yeah yeah yeah yeah".