Ceremony, de Joy Division à New Order


Ceremony marque la transition entre deux époques, et entre deux groupes. C'est l'acte fondateur du groupe New Order, qui renaît des cendres de Joy Division. Pour évoquer ce morceau, il faut remonter à la fin des années 1970.

Joy Division est une aventure sombre qui dure 4 ans, commence par un concert des Sex Pistols et finit par un suicide par pendaison. C'est un éclat dans l'époque post-punk de l'Angleterre de la fin des années 1970. Quatre jeunes de Manchester et sa banlieue se font un nom en jouant du punk sauvage. Ils s'appellent d'abord Warsaw, puis se rebaptisent Joy Division, du nom d'une branche nazie en charge de l'esclavage sexuel dans les camps de concentration. Plusieurs d'entre eux sont alors fascinés par l'imagerie fasciste, et ravis que la controverse fasse parler d'eux.

Au fil des mois, des concerts et des répétitions, leur style s'affine. Les producteurs Rob Gretton et Tony Wilson, avec son show télévisé So It Goes, les font connaître dans toute l'Angleterre. Leur basse est mélodique, leur batterie est inarrêtable, leur guitare est tantôt rageuse, tantôt orageuse. Leur chanteur est épileptique. Il s'appelle Ian Curtis. Lorsqu'il ne fait pas de crise d'épilepsie sur scène, il en mime les spasmes en dansant. Sa voix possède une tonalité lugubre comme le désespoir. Ses démos sont inaudibles.

En juin 1979, le groupe sort Unknown Pleasures, album emblématique qui définira leur son et celui du mouvement post-punk. Le producteur Martin Hannett use de tous les artifices à sa disposition et altère même considérablement le son live du groupe. Chacun connaît le motif de la pochette d'album. C'est cet imprimé blanc sur noir d'ondes radio émises par un pulsar. Un membre du groupe a vu l'image dans un manuel d'astronomie. Les chansons s'appellent Disorder, She's Lost Control, Shadowplay. A l'été 1979 le groupe est à son sommet, mais Ian Curtis est malade et son mariage est en déroute. Il écrit Love Will Tear Us Apart.

Après 24 dates en première partie des Buzzcocks, Joy Division se lance dans une tournée européenne au début de l'année 1980. Toujours sous la houlette de Martin Hannett, ils enregistrent leur second album, Closer. Ian Curtis dort peu et mal. Ses crises se succèdent. Le 7 avril, il tente de se suicider par overdose de médicaments. Des dates sont annulées en avril.

Joy Division se produit à l'Université de Birmingham le 2 Mai 1980 et y interprète pour la première fois et dernière fois Ceremony en live. De cette date il reste 2 enregistrements, l'un du soundcheck, l'autre du concert. Sur les deux, la voix d'Ian est presque inaudible. On a également trace d'une autre prise de Ceremony par Joy Division le 14 Mai, lors d'une session d'enregistrement. Le studio s'appelle Graveyard Studios.

Quatre jours plus tard, la veille du départ du groupe pour une tournée américaine, Ian Curtis est retrouvé pendu dans sa cuisine par sa femme Deborah. Ils s'étaient disputés la veille à propos de leur divorce. Il lui avait demandé de le laisser seul.

Aucun groupe n'est censé survivre à la mort de son chanteur. Pourtant, après la mort de Curtis, Peter Hook, Bernard Sumner et Stephen Morris décident de continuer. Love Will Tear Us Apart paraît en single en juin. L'album Closer paraît en juillet. Les 3 membres du groupe jouent quelques dates en Angleterre sous le nom "The No Names".

Ils enregistrent les démos restantes de Joy Division, pour mieux tourner la page. Ceremony en fait partie. Avec l'aide de leur producteur Martin Hannett, ils cherchent leur son pendant une période de neuf mois, durant laquelle les 3 s'essaient au chant. C'est finalement Bernard Sumner qui récupère le micro. Ceremony sort en single en mars 1981, avec comme B-Side In A Lonely Place, autre chanson de Joy Division. Il s'agit du premier single de New Order sur le label Factory Records. Sur les conseils de leur manager Rob Gretton, ils intègrent au groupe Gillian Gilbert, la petite amie du batteur Stephen Morris, pour jouer aux claviers et à la guitare. Le groupe tient son line-up définitif. En septembre 1981, ils décident de ré-enregistrer Ceremony, et c'est un chef d’œuvre.

New Order - Ceremony
Ceremony / In A Lonely Place (September 1981, Factory Records)

L'attaque est imparable. La basse enjouée de Peter Hook se fait déborder par la batterie de Morris qui s'élance bille en tête, doublée d'un kick inarrêtable, le tout déjà cisaillé par les fulgurances de la guitare de Sumner. Tandis que les coups clairs se mettent à claquer en stéréo, le solo de guitare tout en distorsion déchire l'atmosphère pour relancer de plus belle. Cette minute d'intro flamboyante est un cocktail d'énergie pure, libératrice. Les mots hérités de Curtis sont chantés par Sumner avec application dans un léger effet d'écho. Claire et fracassante, franche et rageuse, Ceremony a trouvé sa version définitive. Dans cet effort, New Order se libère de ses derniers haillons de cendres pour revêtir des atours de ferveur. Ils seront le groupe phare de Manchester pendant toute la décennie 1980, et l'un des plus influents au monde sur cette période.