Mixtape Septembre 2015


Moins d'éclectisme ce mois-ci, presque une polarisation : d'un côté les synthés, la pop, tantôt mystérieuse ou mélancolique, tantôt dansante, de l'autre côté les guitares orageuses, éclatantes, fières. Est-ce vraiment un portrait fidèle de cette sélection ? Pas tout à fait. J'ai laissé de côté quelques autres artistes qui peuvent valoir le détour selon les préférences de chacun (Keith Richards, Julia Holter, Beirut, The Libertines et bien d'autres) mais ce mois-ci fut d'une telle richesse que je n'ai pas eu assez de temps ! Rendez-vous le mois prochain, en attendant coiffez votre casque ou allumez les enceintes, et profitez bien.

1. Diane Coffee - Spring Breathes
Everybody's A Good Dog (2015, Western Vinyl)

Spring Breathes est de la famille des morceaux à mouvements, dans laquelle on retrouve de glorieux aînés comme A Day in the Life des Beatles ou Bohemian Rhapsody de Queen. Le rideau se lève sur un jeu de chœurs qui se lamentent des déceptions de l’amour comme au théâtre classique. Le personnage traverse ensuite plusieurs décors, recherchant désespérément un amour de saison. Tantôt épopée psychédélique, tantôt ballade calme ponctuée de cymbales légères qui coulent et se disloquent, ici des pincements de basse, là un peu de langueur, tout à coup un sursaut... C'est une aventure. Au dernier acte les percussions jonglent, virevoltent, s’entrechoquent et le thème principal revient atterrir dans une plus accueillante contrée. Est-ce la fin de la pièce ? Les chœurs, en tous cas, sont de retour et le principal protagoniste semble plus assuré. En réalité, c’est le début de l’album. Lorsqu'il n'est pas le batteur de ces excités de Foxygen, Shaun Fleming consacre du temps à son projet à lui, Diane Coffee. Everybody's A Good Dog est son deuxième album et retrace en partie sa transition depuis New York à Bloomington, une petite ville de l'Indiana. Ses airs ont beaucoup d'entrain, des harmonies fruitées et une jolie palette glam rock.

2. Pure Bathing Culture - Pray For Rain
Pray For Rain (2015, Partisan Records)

Pray for Rain, incantation masquée, sûre d’elle mais joueuse, est une promesse. Le morceau est soigné, sans fioritures, pour mieux mettre en valeur la voix et ce phrasé en quatre temps : poser clairement deux vers, puis lier les deux suivants d’un seul jet. Pour agrémenter d’une touche maison on improvise selon l’humeur : tantôt une syllabe emportée, sur laquelle on glisse, tantôt un cri qui s’échappe du mot final. Now you’re dancing in the shadows / And I’m calling out your name / Is it pleasure is it pain - Did you pray for rain ? Le rythme en écho est comme un pas de danse que l’on répète à l’infini, d’avant en arrière, exactement le même : une main souveraine avance puis rembobine encore et encore. Que se passerait-il si cette main relâchait la pression ? Pure Bathing Culture est un duo formé de Daniel Hindman à la guitare et Sarah Versprille à la voix et au clavier. Comme beaucoup ils viennent de Portland, la Mecque musicale de l'Oregon. En attendant la sortie de leur album pour octobre ils ont semé sur le web quelques pistes prometteuses. Pray for Rain en fait partie.

3. The Maccabees - Kamakura
Marks To Prove It (2015, Fiction Records)

Au milieu des nombreux singles que contient Marks To Prove It, le quatrième album des Maccabees, il y a Kamakura, que personne ne semble avoir remarqué. Seconde piste de l'album, le morceau possède une écriture à la puissance évocative remarquable. Orlando Weeks énonce ses mots d'une voix timide, retenue, mais égale, sans s'attarder. L'atmosphère est calme comme la grève avant les lumières de l'aube, lorsque les vagues achèvent de lécher les blessures de la tourmente nocturne. On y remarque un homme qui marche seul, un homme qui croit que la vie marche plus vite que lui. Il a bu trop de fois pour penser qu'il peut encore changer, il a craché sur les dernières mains tendues. He's given a bloody nose to the best friend he knows / The only time he's cried since he was seven years old. Le précédent album de ce quintet londonien avait été salué par un Mercury Prize, une des plus précieuses distinctions de l'industrie musicale britannique. C'était en 2012. Depuis les Maccabees se sont fait attendre et de leur propre aveu le nouvel album fut difficile à achever. Mais la qualité de l'écriture sur leur dernière production alliée à la sérénité qu'ils dégagent sur scène laissent penser qu'ils ont atteint la maturité. Ils sont en tous cas toujours sur une pente ascendante et l'un des meilleurs groupes anglais du moment.

4. Jeanne Added - Night Shame Pride
Be Sensational (2015, Naïve)

Il ne faudrait pas que l'on pense que j'ai fini par succomber à l'engouement pour Jeanne Added. Non non non. Moi ? Pffrrt. Ta ta ta. Elevé à l'école des Arctic Monkeys, j'ai érigé en credo leur "Don't believe the hype". Vous aurez beau me fouetter à coups de Télérama je continuerai à entendre l'accent français qui perce à travers ses paroles, un tort qui figure haut sur ma liste des défauts qui flinguent une bonne chanson. Pas loin des breaks ratés de mi-morceau. Et puis d'abord je ne sais même pas comment prononcer son nom. A-dède ? Adide ? De toute façon je l'ai snobée à Rock en Seine. J'étais à un stand de bouffe, occupé à essayer de ne pas me faire plumer, et je lui tournais le dos. Bon j'ai peut-être entendu deux-trois notes sans le vouloir. Peut-être que j'ai apprécié Look At Them. Pas sûr, il y avait pas mal d'agitation, je ne me souviens pas bien. Bref bref, je ne m'explique pas vraiment pourquoi les accords de Night Shame Pride planent ainsi dans mon cerveau. Pourquoi j'appelle sa voix pendant ses silences. Sa voix, pure et sincère. Il y a peut-être quelque chose.

5. Cold War Kids - First
Hold My Home (2014, Downtown Records)

Il y a presque dix ans, j'avais trouvé Hang Me Up To Dry sur une compilation d'artistes émergents. C'était le morceau phare d'une petite formation originaire de Long Beach en Californie, avec un talent certain pour l'écriture et la production de chansons rock où les guitares ont un accent bluesy. Le chanteur Nathan Willet y faisait étalage de son registre, et je détestai immédiatement ce morceau, le crissement de son refrain, à tel point qu'il me tourmentait. Il n'en a pas fallu plus pour me fâcher avec les Cold War Kids. L'ennui, c'est qu'ils allaient devenir une des valeurs sûres de la scène rock indé américaine grâce à leurs compositions enlevées, fières, qui prennent à bras le corps les malheurs de la vie pour mieux la réchauffer de leur ferveur. Sorti en octobre de l'année dernière, Hold My Home a été enregistré dans la foulée de la parution de Dear Miss Lonelyhearts (2013) et contient lui aussi une irrépressible énergie. Signe de sa qualité, l'un des morceaux parvient près d'un an après à se retrouver dans le haut des charts adult contemporary. First est un de ces morceau qui font les sommets des concerts : mené en crescendo au clappement de mains et à la percussion, ses paroles se scandent à pleine gorge pour mieux contrer les errements d'une relation amoureuse.

6. Glen Hansard - Winning Streak
Didn't He Ramble (2015, Anti-)

Reste-t-il quoi que ce soit à prouver pour Glen Hansard ? Acteur remarqué, chanteur dans plusieurs groupes, le monsieur peut se targuer d'une douzaine d'albums et, depuis 2007, il possède même le titre d'Academy Award Winner pour la musique de Once. Sa renommée est établie, il remplit les salles qu'il choisit sans le moindre souci. Mais quiconque se souvient de ses premiers albums se rappelle qu'il a longtemps écrit sur sa course après la chance, sur l'obsession dévorante de la réussite, sur l'envie de percer comme musicien. Il avait cette ardeur d'y arriver, d'être un vrai chanteur-compositeur. Pour lui-même, et parfois pour des raisons affectives. Il fut un de ces musiciens torturés qui grattent leur guitare pour habiller leur sentiments à vif, livrés dans un souffle. Ce parcours achevé, il revient avec Didn't He Ramble. C'est désormais vers ses proches qu'il se tourne afin de les saluer. L'Irlandais a acquis une sagesse qui lui permet de reconnaître les siens. Il leur dédie une louange sincère et les entoure de généreuses prières. On peut souhaiter à chacun d'être le destinataire d'un voeu aussi doux que Winning Streak. Cette ballade aux frontières de la country, tranquille, d'une assurance contagieuse, offre comme une embrassade l'immense richesse d'une amitié sincère.

7. Foals - London Thunder
What Went Down (2015, Transgressive Records)

London Thunder est l’hymne parfait pour les jours orageux de l’été. Lorsque le ciel s’assombrit, que les rues se font désertes et que les pins agitent leurs branches en promettant la tempête. On croit déjà sentir ce parfum particulier que la pluie donne au bitume aux abords des plages ou en bordure de forêt. Foals est un groupe de cinq anglais originaires d’Oxford, formé en 2005. Leur premier album est sorti en 2008 mais c'est en 2010 avec leur second, Total Life Forever, qu'ils se sont fait connaitre. Ils produisent un rock bien orchestré, travaillé, grandiose, où les strophes se déclament pour ne pas être emportées. London Thunder est une chanson sur le retour chez soi. Dans une interview au New Musical Express, Yannis Philippakis explique qu'elle fut inspirée par les soirées dans les halls d'aéroports et les nuits sur la route, par l'expérience du voyage qui change l'homme et de la déception du retour. Cette sensation, Saint-Exupéry la décrit dans Courrier Sud au sujet d'un pilote de l'aéropostale qui revient à Paris dans un état d'esprit semblable : "A reconnaître tout si bien en place , si bien réglé par le destin, nous avions peur de quelque chose d'obscur. (...) Tous étaient prisonniers d'eux-mêmes, limités par ce frein obscur, et non comme lui, ce fugitif, cet enfant pauvre, ce magicien." En fin de morceau, chaque strate s'efface peu à peu et laisse émerger ce son mystérieux qui était là, enfoui durant tout le morceau, comme une vérité que l'on a toujours sue. La part du foyer qui ne nous quitte pas.

8. Prom Queen - Black Magic
Midnight Veil (2014, Tsurumi Records)

Transparente dans ses intentions, mystérieuse dans tout son thème, voici Black Magic, qui ouvre Midnight Veil. Sur un air qui convoque d'abord les Mille et une Nuits, voiles, magie noire et sortilèges se mêlent pour faire planer une aura de mystère sur un amour envoûtant. L'orchestration est délicieusement changeante et l'on se prend au jeu de la malicieuse Leena. Sous ce nom de scène et parée de tout un costume on trouve Celene Ramadan, figure de proue de ce trio de Seattle qui nous fait voguer à travers les décors de cinéma. Est-on au beau milieu d'un western à l'heure du duel à mort pour les yeux d'une femme ? Est-ce plutôt un conte à la frontière entre Grimm et Bram Stoker ? Au croisement entre surf rock et dream pop survient toute une panoplie d'instruments, de l'orgue gothique aux guitares sèches, du synthé aérien aux volutes des violons. Le morceau va et vient au gré de courte séquences instrumentales avant de revenir vers la voix de Leena, toujours parée de mystère mais d'une charmante douceur.

9. Sharon Van Etten - Words
Words (Music from the Film "Tig") (2015, Jagjaguwar)

Jamais une voix au ton si fragile n'a été aussi sûre que celle de Sharon Van Etten. Elle traverse les mesures sans le moindre accroc, glisse en lévitation, certaine sur le son frêle qui lui trace un sentier. Elle flotte et passe dans les rues neutres, souveraine. Les néons semblent clignoter au rythme de ses moindres gestes, l'enveloppant d'un manteau de chaleur. Sharon Van Etten commande aux mots et, par eux, elle retient la lumière. Words est une chanson composée pour la bande originale du documentaire Tig, diffusé sur Netflix. Ou plutôt, il s'agit d'un hommage à Tig Notaro, étonnante comédienne et écrivain américaine que Sharon Van Etten salue d'un de ces morceaux obsédants et mélancoliques dont elle a le secret ; elle y chante combien les mots peuvent échouer à contenir ou transmettre les sentiments. Depuis plus de cinq ans maintenant, semant sur son chemin des EP troublants qui parfois deviennent de majestueux albums, Sharon Van Etten délivre des compositions d'une écriture remarquable. C'est dans le New Jersey qu'elle avait recommencé à écrire, réfugiée chez ses parents au sortir d'une relation marquée par la violence. Confier ses chansons à Kip Malone (TV On The Radio) après un concert avait relancé ses ambitions et elle n'avait pas mis longtemps ensuite pour partir en tournée et composer de plus belle. Son dernier EP en date, I Don't Want To Let You Down, est sorti dans l'année et vaut évidement le détour.

10. Chvrches - Clearest Blue
Every Open Eye (2015, Glassnote)

Chvrches est un trio de magiciens des claviers, de sorciers de la boite à rythme, ce sont deux grands écossais qui encadrent la petite Lauren Mayberry, telle une fée au micro. La synthpop est leur terrain de jeu, ils y construisent des hymnes dansants où ils chassent leurs démons. Mayberry en particulier recherche les causes de relations avortées et de revirements inexpliqués chez ceux en qui elle avait placé sa confiance et son affection. Se disant pleine d'incertitudes, celle qui ressemble toujours à un enfant devient, sur le devant de la scène, invulnérable. Chvrches ont commencé à faire parler d'eux en 2012, avec deux excellents singles, Lies et The Mother We Share. Soutenus par une fanbase très créative sur le net, armés de leur talent et d'un son très reconnaissable, ils ont attiré l'attention du label Glassnote (Phoenix, Mumford & Sons, Two Door Cinema Club...) en 2013, année où ils signent un EP puis l'album The Bones of What You Believe. C'est un réel succès critique qui produit 6 singles et déclenche une longue tournée de 364 concerts en 2 ans. En janvier ils sont retournés dans leur studio de Glasgow, le même qui leur avait servi pour enregistrer leur premier album. Cinq mois durant ils ont enregistré Every Open Eye, sorti ce mois-ci. Clearest Blue en sera certainement l'un des singles tant il est irrésistible : parti tambour battant, le morceau est alimenté par des claviers étincelants et semble faire presser le pas de la chanteuse. Encouragée, prenant confiance, Mayberry finit par lâcher les rênes, double la cadence en quelques mesures et libère ses mots dans une déferlante dance pop en apothéose.