Mixtape Novembre 2015


Il ne fut pas évident de sortir de ce mois de novembre marqué par la noirceur du deuil. Je n'ai pas orienté cette mixtape vers un quelconque hommage, d'autres s'en sont chargé mieux que moi. La semaine qui a suivi, j'ai très peu écouté de musique, comme si cela avait été déplacé. J'y suis revenu comme on revient à la maison ; vous trouverez dans cette sélection autant de plaisirs coupables que d'amours extatiques. Mais surtout, surtout, je suis retourné en salle. La première fois au Trabendo pour Albert Hammond Jr. et quelques pensées anxiogènes me trottaient dans le cerveau. La deuxième fois c'était hier à la Gaîté Lyrique pour Courtney Barnett et tout allait mieux. Quelle performance ! La rockeuse australienne est irrésistible, naturelle, puissante et ses riffs déchainés ont transcendé tout le public. Un régal.

1. Baio - Sister of Pearl
The Names (2015, Glassnote)

Prendre une voix grave et faussement blasée, chanter sur un air sautillant, être théâtral, varier, revenir à la normale, appuyer une syllabe et en lâcher par paquets. Pour son premier album solo, le bassiste de Vampire Weekend déploie une électro pétillante et appliquée qui reprend le ton chaleureux du groupe new-yorkais. Mais que l'on s'entende bien : il nous emmène sur son propre territoire. Les 9 morceaux de The Names s'accordent sur un rythme enlevé et rappellent tantôt LCD Soundsystem, tantôt l'album de Jamie xx paru plus tôt dans l'année. Ce sont des mélanges recherchés qui s'élancent sans gêne, touchant tant la dance-pop qu'une électro plus élégiaque. Au milieu de cela, Sister of Pearl se démarque comme un hommage direct à la chanson Mother of Pearl de Roxy Music sur laquelle Bryan Ferry chantait "Oh mother of Pearl, I wouldn't change you for the whole world". Avec une instru au piano prépondérante, Chris Baio prend la suite pour écrire une chanson pop sans arrière pensées qui demeure un moment à part de l'album.

2. Of Montreal - Gronlandic Edit
Hissing Fauna, Are You the Destroyer? (2007, Polyvinyl)

Gronlandic Edit est une chanson déjantée et engagée à la fois, poétique dans sa folie, une charge contre l'église chrétienne - "nihilists with good imagination" - écrite sous influence, bref, un morceau qui défie toute catégorisation. Il y a un petit groove bien agréable, forcément addictif qui donne envie d'apprendre les paroles pour pouvoir chantonner. Mais voilà, ça ne va pas être possible. A partir d'une minute et demi de chanson, Kevin Barnes nous fait un sursaut acoustique qui l'envoie d'une traite dans les aigus, histoire de nous rappeler qu'il plane beaucoup plus haut que nous. Va chantonner ça sobre ou en public ! Et puis il faut dire que normalement, une chanson pop ça doit être un brin consensuel, mais là avec des vers comme "All the churches filled with losers, psycho or confused" ou encore "We fell back to earth like gravity's bitches, bitches / Physics makes us all its bitches" on risque de se mettre à dos une bonne partie de la chrétienté et des étudiants en physique. Comme d'habitude avec la secte Of Montreal, d'ailleurs originaire d'Athens en Géorgie, ces imposteurs, il faudra prendre des places de concert pour se lâcher librement avec le reste des adeptes. Gronlandic Edit figure toujours en bonne place dans leurs setlists.

3. Marvin Gaye & Kim Weston - It Takes Two
Take Two (1966, Tamla)

Dans The Lobster, film du réalisateur grec Yorgos Lanthimos récompensé par le Prix du Jury à Cannes, Colin Farrel évolue dans une société futuriste dans laquelle il est légalement obligatoire d'être en couple. Tout célibataire se voit conduit dans un hôtel qui sert de lieu de rencontres et dispose de 45 jours pour trouver un compagnon sous peine d'être transformé en animal. Tout est fait pour inciter les résident à ressentir le couple comme une nécessité. Le personnel de l'hôtel joue parfois des scénettes ahurissantes où des personnes seules s'étouffent en mangeant, ou bien sont agressées dans la rue faute d'un compagnon pour les aider ou les protéger. Quel rapport avec un hit pop/soul de 1966 ? Eh bien voyez-vous, en écoutant les paroles de l'excellent It Takes Two, je me dis que le mec qui a écrit ça avait lui aussi une dent contre les célibataires. En passant, il s'agit de William "Mickey" Stevenson, le mari de Kim Weston, qui a aussi produit la chanson. Il s'agira d'un des plus grands succès en duo de Marvin Gaye époque Motown.

4. M. Ward - For Beginners
Hold Time (2009, Merge Records)

Après avoir enrôlé Zoey Deschanel dans le projet She & Him, M. Ward bénéficiait au moment de Hold Time d'une popularité sans précédent pour lui, simple chanteur de folk songs. Sur son septième album, il se tourne vers des thèmes qu'il estime essentiels : l'amour, la spiritualité et les chansons traditionnelles. De par ses mots, For Beginners porte un parfum mystique. M. Ward déroule d'un ton égal une ballade empreinte de gentillesse et de sérénité qui passe comme une caresse. Sa voix semble avoir voyagé, avoir gravi des montagnes pour nous livrer la vérité. Le temps d'une chanson il est le vieil homme qui connaît la fin de l'histoire, il es l'aîné, le sage qui s'adresse aux enfants. Avec une voix d'or, une simple guitare folk et des clappements de mains il construit un matin de promesses When you're absolute beginners / It's a panoramic view / From her majesty Mt. Zion / And the kingdom is for you.

5. Kings of Leon - Back Down South
Come Around Sundown (2010, RCA)

Les ondes FM du sud des Etats-Unis sont régulièrement inondées de chansons country célébrant le mode de vie local, ses barbecues au soleil, les balades en pickup truck et la dégaine de bucheron. A la vue du clip de Back Down South, il semble vraiment que les Kings of Leon aient tenté d'attaquer un segment démographique bien précis, celui des amateurs de country et d'americana. En fait c'est exactement ce qu'ils ont fait. Leur cinquième album Come Around Sundown sortait deux ans après Only by the Night qui les avait révélés, et ce fut une profonde déception. Pas vraiment d'audace, aucun refrain marquant et un appel tristouille à des thèmes éculés du folkore mériodional US. Ouais, les KoL auraient pu devenir un bon groupe d'alt-rock mais ils ont mangé la feuille, préférant prendre une posture médiatique sudiste pour dénoncer à grand bruit l'hipstérisation du rock chez les blue states. J'en reviens pas d'avoir écrit ça? mais au moins vous pourrez le recaser en société si on vous interroge sur les Kings of Leon. En vrai même si ça ne casse pas trois pattes à un canard ça se laisse écouter et quand-il-y-a-une-belle-lumière-sur-ma-terrasse-tandis-que-j'aligne-les-merguez-sur-le-grill-en-revenant-de-la-plage, je pense à Back Down South.

6. Alessi Brothers - Seabird
Alessi (1976, A&M)

Seabird a un côté désuet, qui tient autant à la flute ridicule en début de morceau qu'à la voix endolorie de Billy Alessi qui parfois semble avoir un cheveu sur la langue. Mais si cette ritournelle kitsch porte la marque de son époque, elle possède un je-ne-sais-quoi d'apaisant, de calme, un écho de soleil qui berce l'errance. Cette mélodie plaisante contraste avec le sujet du morceau, une complainte de l'exilé qui sait que sa fuite est vaine : This world isn't big enough / To keep me away from you. Dôté d'un accord des voix souvent propre aux vrais jumeaux, les frères Billy et Bobby Alessi ne sont jamais devenus des stars de la pop mais ont malgré tout réussi à vendre quelques millions d'albums sous divers labels. Des deux côtés de l'Atlantique ils semblent être des one hit wonders, n'ayant placé qu'une chanson dans les charts UK (Oh Lori en 1977) et US (Put Away Your Love cinq ans plus tard. Leur sens musical leur permit plus tard de travailler pour Elton John ou Paul McCartney, avant qu'ils ne tournent leur savoir-faire musical vers la production de jingles publicitaires.

7. Jamie xx - Gosh
In Colour (2015, Young Turks)

L'album de Jamie xx a fait grand bruit à sa sortie, unanimement salué par la critique téléramo-pitchforkienne. L'ayant écouté dans la foulée, j'étais resté sur ma faim. La pochette colorée était un agréable changement de ton après les négatifs des albums de The xx mais musicalement je restai dubitatif. Mes radios habituelles s'entêtaient pourtant à jouer le single Loud Places et surtout cet étrange Gosh dont l'intro se résume à un mix de saccades sauvages et d'une voix de brute, suivi aux environs de la minute par des coups de machette électronique en rafale. C'était en mai. Il y a deux semaines, Spotify m'envoyait un mail intitulé "Merci d'être un des plus grands fans de Jamie xx" avec en accroche "Vous recevez cet email car vous êtes parmi les personnes ayant le plus écouté Jamie XX sur Spotify" en m'invitant à réserver mes places en avant-première pour son concert au Zénith. Voilà. Je suis désormais un disciple de Gosh et de son étrange appel qui commence à 1:54 par un redoublement de basses laissant éclore une sirène étrange et envoûtante montant vers les aigus. Je suis incapable de l'expliquer.